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CHAPITRE CXLVII.

vaisselle de terre vernissée, d’étoffes de coton, et de tissus de plumes qui formaient des dessins éclatants par les plus vives nuances. Auprès du grand marché était un palais où l’on rendait sommairement la justice aux marchands, comme dans la juridiction des consuls de Paris, qui n’a été établie que sous le roi Charles IX, après la destruction de l’empire du Mexique. Plusieurs palais de l’empereur Montezuma augmentaient la somptuosité de la ville. Un d’eux s’élevait sur des colonnes de jaspe, et était destiné à renfermer des curiosités qui ne servaient qu’au plaisir. Un autre était rempli d’armes offensives et défensives, garnies d’or et de pierreries ; un autre était entouré de grands jardins où l’on ne cultivait que des plantes médicinales ; des intendants les distribuaient gratuitement aux malades : on rendait compte au roi du succès de leurs usages, et les médecins en tenaient registre à leur manière, sans avoir l’usage de l’écriture. Les autres espèces de magnificence ne marquent que les progrès des arts ; celle-là marque le progrès de la morale.

S’il n’était pas de la nature humaine de réunir le meilleur et le pire, on ne comprendrait pas comment cette morale s’accordait avec les sacrifices humains dont le sang regorgeait à Mexico devant l’idole de Visiliputsli, regardé comme le dieu des armées. Les ambassadeurs de Montezuma dirent à Cortès, à ce qu’on prétend, que leur maître avait sacrifié dans ses guerres près de vingt mille ennemis, chaque année, dans le grand temple de Mexico. C’est une très-grande exagération : on sent qu’on a voulu colorer par là les injustices du vainqueur de Montezuma ; mais enfin, quand les Espagnols entrèrent dans ce temple, ils trouvèrent, parmi ses ornements, des crânes d’hommes suspendus comme des trophées. C’est ainsi que l’antiquité nous peint le temple de Diane dans la Chersonèse Taurique.

Il n’y a guère de peuples dont la religion n’ait été inhumaine et sanglante : vous savez que les Gaulois, les Carthaginois, les Syriens, les anciens Grecs, immolèrent des hommes. La loi des Juifs semblait permettre ces sacrifices ; il est dit dans le Lévitique : « Si une âme vivante a été promise à Dieu, on ne pourra la racheter ; il faut qu’elle meure[1]. » Les livres des Juifs rapportent que, quand ils envahirent le petit pays des Cananéens, ils massacrèrent, dans plusieurs villages, les hommes, les femmes, les

  1. On lit dans le Lévitique, xxvii, 28-29 : Omne quod Domino consecratur, sive homo fuerit, sive animal, sive ager, non vendetur, nec redimi poterit... Et omnis consecratio quæ offertur ab homine non redimetur, sed morte morietur.