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CHAPITRE CXLIX.

aller partager les possessions des Portugais en Asie. En effet, ses compagnons après sa mort s’établirent à Tidor, la principale des îles Moluques, où croissent les plus précieuses épiceries.

Les Portugais furent étonnés d’y trouver les Espagnols, et ne purent comprendre comment ils y avaient abordé par la mer orientale, lorsque tous les vaisseaux du Portugal ne pouvaient venir que de l’occident. Ils ne soupçonnaient pas que les Espagnols eussent fait une partie du tour du globe. Il fallut une nouvelle géographie pour terminer le différend des Espagnols et des Portugais, et pour réformer l’arrêt que la cour de Rome avait porté sur leurs prétentions et sur les limites de leurs découvertes.

Il faut savoir que, quand le célèbre prince don Henri commençait à reculer pour nous les bornes de l’univers, les Portugais demandèrent aux papes la possession de tout ce qu’ils découvriraient. La coutume subsistait de demander des royaumes au saint-siége, depuis que Grégoire VII s’était mis en possession de les donner ; on croyait par là s’assurer contre une usurpation étrangère, et intéresser la religion à ces nouveaux établissements. Plusieurs pontifes confirmèrent donc au Portugal les droits qu’il avait acquis, et qu’ils ne pouvaient lui ôter.

Lorsque les Espagnols commençaient à s’établir dans l’Amérique, le pape Alexandre VI divisa les deux nouveaux mondes, l’américain et l’asiatique, en deux parties : tout ce qui était à l’orient des îles Acores devait appartenir au Portugal ; tout ce qui était à l’occident fut donné à l’Espagne ; on traça une ligne sur le globe, qui marqua les limites de ces droits réciproques, et qu’on appelle la ligne de marcation. Le voyage de Magellan dérangea la ligne du pape. Les îles Mariannes, les Philippines, les Moluques, se trouvaient à l’orient des découvertes portugaises. Il fallut donc tracer une autre ligne, qu’on appela de démarcation. Qu’y a-t-il de plus étonnant, ou qu’on ait découvert tant de pays, ou que des évêques de Rome les aient donnés tous ?

Toutes ces lignes furent encore dérangées lorsque les Portugais abordèrent au Brésil ; elles ne furent pas respectées par les Français et par les Anglais, qui s’établirent ensuite dans l’Amérique septentrionale. Il est vrai que ces nations n’ont fait que glaner après les riches moissons des Espagnols ; mais enfin ils y ont eu des établissements considérables.

Le funeste effet de toutes ces découvertes et de ces transplantations a été que nos nations commerçantes se sont fait la guerre en Amérique et en Asie, toutes les fois qu’elles se la sont déclarée en Europe. Elles ont réciproquement détruit leurs colonies nais-