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DE PHILIPPE II, ROI DE PORTUGAL.

Don Antoine s’adresse à la France. Le conseil de Henri III était avec Philippe dans les mêmes termes de jalousie et de crainte que le conseil d’Angleterre. Il n’y avait point de guerre déclarée, mais une ancienne inimitié, une envie mutuelle de se nuire ; et Henri III fut toujours embarrassé entre les huguenots, qui faisaient un État dans l’État, et Philippe, qui voulut en faire un autre en offrant toujours aux catholiques sa protection dangereuse.

Catherine de Médicis avait des prétentions sur le Portugal, presque aussi chimériques que celles du pape. Don Antoine, en flattant ces prétentions, en promettant une partie du royaume qu’il ne pouvait recouvrer, et au moins les îles Açores où il avait un grand parti, obtint par le crédit de Catherine un secours considérable. On lui donna soixante petits vaisseaux, et environ six mille hommes, pour la plupart huguenots, qu’on était bien aise d’employer au loin, et qui l’étaient encore davantage d’aller combattre des Espagnols. Les Français, et surtout les calvinistes, cherchaient partout la guerre. Ils suivaient alors en foule le duc d’Anjou pour l’établir en Flandre. Ils s’embarquèrent avec allégresse pour tenter de rétablir don Antoine en Portugal. On s’empara d’abord d’une des îles ; mais bientôt la flotte d’Espagne parut (1583) : elle était supérieure en tout à celle des Français par la grandeur des vaisseaux, par le nombre des troupes ; il y avait douze galères à rames qui accompagnaient cinquante galions. C’est la première fois qu’on vit des galères sur l’Océan, et il était bien étonnant qu’on les eût conduites jusqu’à six cents lieues dans ces mers nouvelles. Lorsque Louis XIV, longtemps après, fit passer quelques galères dans l’Océan, cette entreprise passa pour la première de cette espèce, et ne l’était pourtant pas ; mais elle était plus périlleuse que celle de Philippe II, parce que l’océan Britannique est plus orageux que l’Atlantique.

Cette bataille navale fut la première qui se donna dans cette partie du monde. Les Espagnols vainquirent, et abusèrent de leur victoire. Le marquis de Santa-Cruz, général de la flotte de Philippe, fit mourir presque tous les prisonniers français par la main du bourreau, sous prétexte que, la guerre n’étant point déclarée entre l’Espagne et la France, il devait les traiter comme des pirates. Don Antoine, heureux d’échapper par la fuite, alla se faire servir à genoux en France, et mourir dans la pauvreté.

Philippe alors se voit maître non-seulement du Portugal, mais de tous les grands établissements que sa nation avait faits dans les Indes. Il étendait sa domination au bout de l’Amérique et de l’Asie, et ne pouvait prévaloir contre la Hollande.