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DE LA FRANCE SOUS HENRI III.

prit aucun moyen de l’être. Ses débauches honteuses avec ses mignons le rendirent odieux ; ses superstitions, ses processions, dont il croyait couvrir ses scandales, et qui les augmentaient, l’avilirent ; ses profusions, dans un temps où il fallait n’employer l’or que pour avoir du fer, énervèrent son autorité. Nulle police, nulle justice : on tuait, on assassinait ses favoris sous ses yeux, ou ils s’égorgeaient mutuellement dans leurs querelles. Son propre frère, le duc d’Anjou, catholique, s’unit contre lui avec le prince Henri de Condé, calviniste, et fait venir des Suisses, tandis que Condé rentre en France avec des Allemands.

Dans cette anarchie, Henri, duc de Guise, fils de François, riche, puissant, devenu le chef de la maison de Lorraine en France, ayant tout le crédit de son père, idolâtré du peuple, redouté à la cour, force le roi à lui donner le commandement des armées. Son intérêt était que tout fût brouillé, afin que la cour eût toujours besoin de lui.

Le roi demande de l’argent à la ville de Paris : elle lui répond qu’elle a fourni trente-six millions d’extraordinaire en quinze ans, et le clergé soixante millions ; que les campagnes sont désolées par la soldatesque ; la ville, par la rapacité des financiers ; l’Église, par la simonie et le scandale. Il n’obtient que des plaintes au lieu de secours.

Cependant le jeune Henri de Navarre se sauve enfin de la cour, où il était toujours prisonnier. On pouvait le retenir comme prince du sang ; mais on n’avait nul droit sur la liberté d’un roi : il l’était en effet de la basse Navarre, et la haute lui appartenait par droit d’héritage. Il va en Guienne. Les Allemands, appelés par Condé, entrent dans la Champagne. Le duc d’Anjou, frère du roi, est en armes.

Les dévastations qu’on avait vues sous Charles IX recommencent. Le roi fait alors, par un traité honteux dont on ne lui sait point de gré, ce qu’il aurait dû faire, en souverain habile, à son avènement : il donne la paix ; mais il accorde beaucoup plus qu’on ne lui eût demandé d’abord : libre exercice de la religion réformée[1] temples, synodes, chambres mi-parties de catholiques et de réformés dans les parlements de Paris, de Toulouse, de Grenoble, d’Aix, de Rouen, de Dijon, de Rennes[2]. Il désavoue

  1. Excepté à Paris.
  2. Il donne aussi plusieurs villes de sûreté : Angoulême, Niort, la Charité, Bourges, Saumur, et Mézières, où les réformes tiendront des garnisons payées par le roi. (G. A.)