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CHAPITRE CLXXIV.

était l’évangélique, composée de presque tous les princes protestants ; l’autre était la catholique, à la tête de laquelle on avait mis le nom du pape. Henri IV protégeait la ligue protestante : voilà l’unique cause de l’assassinat. Il faut en croire les dépositions constantes de Ravaillac. Il assura, sans jamais varier, qu’il n’avait aucun complice, qu’il avait été poussé à ce régicide par un instinct dont il ne put être le maître. Il signa son interrogatoire, dont quelques feuilles furent retrouvées, en 1720, par un greffier du parlement ; je les ai vues : cet abominable nom est peint parfaitement, et il y a au-dessous, de la même main : « Que toujours dans mon cœur Jésus soit le vainqueur » : nouvelle preuve que ce monstre n’était qu’un furieux imbécile.

On sait qu’il avait été feuillant dans un temps où ces moines étaient encore des ligueurs fanatiques : c’était un homme perdu de crimes et de superstition. Le conseiller Matthieu, historiographe de France, qui lui parla longtemps au petit hôtel de Retz, près du Louvre, dit dans sa relation que ce misérable avait été tenté depuis trois ans de tuer Henri IV. Lorsqu’un conseiller du parlement lui demanda, dans cet hôtel de Retz, en présence de Matthieu, comment il avait pu mettre la main sur le roi très-chrétien : « C’est à savoir, dit-il, s’il est très-chrétien. »

La fatalité de la destinée se fait sentir ici plus qu’en aucun autre événement. C’est un maître d’école d’Angoulême, qui, sans conspiration, sans complice, sans intérêt, tue Henri IV au milieu de son peuple, et change la face de l’Europe.

On voit par les actes de son procès, imprimés en 1611, que cet homme n’avait en effet d’autres complices que les sermons des prédicateurs, et les discours des moines. Il était très-dévot, faisait l’oraison mentale et jaculatoire ; il avait même des visions célestes. Il avoue qu’après être sorti des feuillants, il avait eu souvent l’envie de se faire jésuite. Son aveu porte que son premier dessein était d’engager le roi à proscrire la religion réformée, et que, même, pendant les fêtes de Noël, voyant passer le roi en carrosse, dans la même rue où il l’assassina depuis, il s’écria : « Sire, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, et de la sacrée vierge Marie, que je parle à vous ! » qu’il fut repoussé par les gardes ; qu’alors il retourna dans Angoulême, sa patrie, où il avait quatre-vingts écoliers ; qu’il s’y confessa et communia souvent. Il est prouvé que son crime ne fut conçu dans son esprit qu’au milieu des actes réitérés d’une dévotion sincère. Sa réponse, dans son second interrogatoire, porte ces propres mots : « Personne quelconque ne l’a conduit à ce faire que le commun bruit