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SCIENCES, BEAUX-ARTS, AUX XIIIe ET XIVe SIÈCLES.

une peinture de la grandeur de Dieu ; lieu commun à la vérité, mais qui vous fera connaître le génie de la Perse :

Il sait distinctement ce qui ne fut jamais,
De ce qu’on n’entend point son oreille est remplie.
Prince, il n’a pas besoin qu’on le serve à genoux ;
Juge, il n’a pas besoin que sa loi soit écrite.
De l’éternel burin de sa prévision
Il a tracé nos traits dans le sein de nos mères.
De l’aurore au couchant il porte le soleil :
Il sème de rubis les masses des montagnes.
Il prend deux gouttes d’eau ; de l’une il fait un homme,
De l’autre il arrondit la perle au fond des mers.
L’être au son de sa voix fut tiré du néant.
Qu’il parle, et dans l’instant l’univers va rentrer
Dans les immensités de l’espace et du vide ;
Qu’il parle, et l’univers repasse en un clin d’œil
Des abîmes du rien dans les plaines de l’être.

Si les belles-lettres étaient ainsi cultivées sur les bords du Tigre et de l’Euphrate, c’est une preuve que les autres arts qui contribuent aux agréments de la vie étaient très-connus. On n’a le superflu qu’après le nécessaire ; mais ce nécessaire manquait encore dans presque toute l’Europe. Que connaissait-on en Allemagne, en France, en Angleterre, en Espagne, et dans la Lombardie septentrionale ? les coutumes barbares et féodales, aussi incertaines que tumultueuses, les duels, les tournois, la théologie scolastique, et les sortiléges.

On célébrait toujours dans plusieurs églises la fête de l’âne[1], ainsi que celle des innocents et des fous. On amenait un âne devant l’autel, et on lui chantait pour antienne : Amen, amen, asine ; eh eh eh, sire âne, eh eh eh, sire âne.

Du Cange et ses continuateurs, les compilateurs les plus exacts, citent un manuscrit de cinq cents ans, qui contient l’hymne de l’âne :

Orientis partibus
Adventavit asinus
Pulcher et fortissimus.


Eh ! sire âne, çà, chantez,
Belle bouche, rechignez,
Vous aurez du foin assez.
  1. Voyez le Dictionnaire philosophique, au mot Âne.