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CHAPITRE LXXXVI.

l’on gardait les sceaux du concile, et scellèrent ainsi au nom des pères mêmes le contraire de ce que l’assemblée avait résolu. Cette ruse italienne réussit, et il était palpable que le pape devait en tout avoir l’avantage sur le concile.

Cette assemblée n’avait point de chef qui pût réunir les esprits et écraser le pape, comme il y en avait eu un à Constance. Elle n’avait point de but arrêté ; elle se conduisait avec si peu de prudence que, dans un écrit que les pères délivrèrent aux ambassadeurs grecs, ils disaient qu’après avoir détruit l’hérésie des hussites, ils allaient détruire l’hérésie de l’Église grecque. Le pape, plus habile, traitait avec plus d’adresse ; il ne parlait aux Grecs que d’union et de fraternité, et épargnait les termes durs. C’était un homme très-prudent, qui avait pacifié les troubles de Rome, et qui était devenu puissant. Il eut des galères prêtes avant celles des pères.

L’empereur, défrayé par le pape, s’embarque avec son patriarche et quelques évêques choisis, qui voulaient bien renoncer aux sentiments de toute l’Église grecque pour l’intérêt de la patrie (1439). Le pape les reçut à Ferrare. L’empereur et les évêques, dans leur soumission réelle, gardèrent en apparence la majesté de l’empire et la dignité de l’Église grecque. Aucun ne baisa les pieds du pape ; mais après quelques contestations sur le Filioque, que Rome avait ajouté depuis longtemps au symbole, sur le pain azyme, sur le purgatoire, on se réunit en tout au sentiment des Romains.

Le pape transféra son concile de Ferrare à Florence, Ce fut là que les députés de l’Église grecque adoptèrent le purgatoire. Il fut décidé que « le Saint-Esprit procède du Père et du Fils par la production de spiration ; que le Père communique tout au Fils, excepté la paternité, et que le Fils a de toute éternité la vertu productive ».

Enfin l’empereur grec, son patriarche et presque tous ses prélats, signèrent dans Florence le point si longtemps débattu de la primatie de Rome. L’histoire byzantine assure que le pape acheta leur signature. Cela est vraisemblable : il importait au pape de gagner cet avantage à quelque prix que ce fût ; et les évêques d’un pays désolé par les Turcs étaient pauvres.

Cette union des Grecs et des Latins fut à la vérité passagère ; ce fut une comédie jouée par l’empereur Jean Paléologue second. Toute l’Église grecque la réprouva. Les évêques qui avaient signé à Florence en demandèrent pardon à Constantinople ; ils dirent qu’ils avaient trahi la foi. On les compara à Judas qui trahit son maître. Ils ne furent réconciliés à leur Église qu’après avoir abjuré les innovations reprochées aux Latins.

L’Église latine et la grecque furent plus divisées que jamais.