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CHAPITRE LXXXVI.

naître le pape pour maître ; et dans le temps même que la pragmatique lui laisse le premier des droits, elle lui défend de faire plus de vingt-quatre cardinaux, avec aussi peu de raison que le pape en aurait de fixer le nombre des ducs et pairs, ou des grands d’Espagne. Ainsi tout est contradiction. Il est vrai que le concile de Bâle avait le premier fait cette défense aux papes. Il n’avait pas considéré qu’en diminuant le nombre il augmentait le pouvoir, et que plus une dignité est rare, plus elle est respectée.

Ce fut encore la discipline établie par ce concile qui produisit depuis le concordat germanique. Mais la pragmatique a été abolie en France ; le concordat germanique s’est soutenu. Tous les usages d’Allemagne ont subsisté. Élections des prélats, investitures des princes, priviléges des villes, droits, rangs, ordre de séance, presque rien n’a changé. On ne voit au contraire rien en France des usages reçus du temps de Charles VII.

Le concile de Bâle, ayant déposé vainement un pape très-sage que toute l’Europe continuait à reconnaître, lui opposa, comme on sait, un fantôme, un duc de Savoie, Amédée VIII[1] qui avait été le premier duc de sa maison, et qui s’était fait ermite à Ripaille, par une dévotion que le Poggio est bien loin de croire réelle. Sa dévotion ne tint pas contre l’ambition d’être pape. On le déclara souverain pontife, tout séculier qu’il était. Ce qui avait causé de violentes guerres du temps d’Urbain VI ne produisit alors que des querelles ecclésiastiques, des bulles, des censures, des excommunications réciproques, des injures atroces. Car si le concile appelait Eugène simoniaque, hérétique et parjure, le secrétaire d’Eugène traitait les pères de fous, d’enragés, de barbares, et nommait Amédée cerbère et antechrist. Enfin, sous le pape Nicolas V, le concile se dissipa peu à peu de lui-même ; et ce duc de Savoie, ermite et pape, se contenta d’être cardinal, laissant l’Église dans l’ordre accoutumé (1449). Ce fut là le vingt-septième et le dernier schisme considérable excité pour la chaire de saint Pierre. Le trône d’aucun royaume n’a jamais été si souvent disputé.

Æneas Piccolomini, Florentin, poëte et orateur, qui fut secrétaire de ce concile, avait écrit violemment pour soutenir la supériorité des conciles sur les papes. Mais lorsque ensuite il fut pape lui-même sous le nom de Pie II, il censura encore plus violemment ses propres écrits, immolant tout à l’intérêt présent, qui seul fait si souvent les principes de vérité et d’erreur. Il y avait d’autres écrits de lui, qui couraient dans le monde. La quinzième

  1. Voyez l’épître lxxxv, tome X, page 362.