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CHAPITRE CLXXXII.

Toute la nation fut alarmée. La cour ne put empêcher le parlement de procéder avec la sévérité la plus prompte. Il se mêla une vérité à tous ces mensonges incroyables, et dès lors tous ces mensonges parurent vrais. Les délateurs prétendaient que le général des jésuites avait nommé pour son secrétaire d’État en Angleterre un nommé Coleman, attaché au duc d’York : on saisit les papiers de ce Coleman, on trouva des lettres de lui au P. La Chaise, conçues en ces termes :

« Nous poursuivons une grande entreprise ; il s’agit de convertir trois royaumes, et peut-être de détruire à jamais l’hérésie ; nous avons un prince zélé, etc... Il faut envoyer beaucoup d’argent au roi : l’argent est la logique qui persuade tout à notre cour. »

Il est évident, par ces lettres, que le parti catholique voulait avoir le dessus ; qu’il attendait beaucoup du duc d’York ; que le roi lui-même favoriserait les catholiques, pourvu qu’on lui donnât de l’argent ; qu’enfin les jésuites faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour servir le pape en Angleterre. Tout le reste était manifestement faux ; les contradictions des délateurs étaient si grossières qu’en tout autre temps on n’aurait pu s’empêcher d’en rire.

Mais les lettres de Coleman, et l’assassinat d’un de ses juges, firent tout croire des papistes. Plusieurs accusés périrent sur l’échafaud : cinq jésuites furent pendus et écartelés. Si on s’était contenté de les juger comme perturbateurs du repos public, entretenant des correspondances illicites, et voulant abolir la religion établie par la loi, leur condamnation eût été dans toutes les règles ; mais il ne fallait pas les pendre en qualité de capitaines et d’aumôniers de l’armée papale qui devait subjuguer trois royaumes. Le zèle contre le papisme fut porté si loin que la chambre des communes vota presque unanimement l’exclusion du duc d’York, et le déclara incapable d’être jamais roi d’Angleterre. Ce prince ne confirma que trop, quelques années après, la sentence de la chambre des communes.

L’Angleterre, ainsi que tout le Nord, la moitié de l’Allemagne, les sept Provinces-Unies, et les trois quarts de la Suisse, s’étaient contentés jusque-là de regarder la religion catholique romaine comme une idolâtrie ; mais cette flétrissure n’avait encore passé nulle part en loi de l’État. Le parlement d’Angleterre ajouta à l’ancien serment du test l’obligation d’abhorrer le papisme comme une idolâtrie.

Quelles révolutions dans l’esprit humain ! Les premiers chrétiens accusèrent le sénat de Rome d’adorer des statues qu’il