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DE L’ANGLETERRE SOUS CHARLES II.

n’adorait certainement pas. Le christianisme subsista trois cents ans sans images ; douze empereurs chrétiens traitèrent d’idolâtres ceux qui priaient devant des figures de saints. Ce culte fut reçu ensuite dans l’Occident et dans l’Orient, abhorré après dans la moitié de l’Europe. Enfin Rome chrétienne, qui fonde sa gloire sur la destruction de l’idolâtrie, est mise au rang des païens par les lois d’une nation puissante, respectée aujourd’hui dans l’Europe.

L’enthousiasme de la nation ne se borna pas à des démonstrations de haine et d’horreur contre le papisme : les accusations, les supplices, continuèrent.

Ce qu’il y eut de plus déplorable, ce fut la mort du lord Stafford, vieillard zélé pour l’État, attaché au roi, mais retiré des affaires, et achevant sa carrière honorable dans l’exercice paisible de toutes les vertus. Il passait pour papiste, et ne l’était pas. Les délateurs l’accusèrent d’avoir voulu engager l’un d’eux à tuer le roi. L’accusateur ne lui avait jamais parlé, et cependant il fut cru ; l’innocence du lord Stafford parut en vain dans tout son jour ; il fut condamné, et le roi n’osa lui donner sa grâce : faiblesse infâme, dont son père avait été coupable[1], et qui perdit son père. Cet exemple prouve que la tyrannie d’un corps est toujours plus impitoyable que celle d’un roi : il y a mille moyens d’apaiser un prince ; il n’y en a point d’adoucir la férocité d’un corps entraîné par les préjugés. Chaque membre, enivré de cette fureur commune, la reçoit et la redouble dans les autres membres, et se porte à l’inhumanité sans crainte, parce que personne ne répond pour le corps entier.

Pendant que les papistes et les anglicans donnaient à Londres cette sanglante scène, les presbytériens d’Écosse en donnèrent une non moins absurde et plus abominable. Ils assassinèrent l’archevêque de Saint-André, primat d’Écosse : car il y avait encore des évêques dans ce pays, et l’archevêque de Saint-André avait conservé ses prérogatives. Les presbytériens assemblèrent le peuple après cette belle action, et la comparèrent hautement dans leurs sermons à celles de Jahel, d’Aod, et de Judith, auxquelles elle ressemblait en effet. Ils menèrent leurs auditeurs, au sortir du sermon, tambour battant, à Glascow, dont ils s’emparèrent. Ils jurèrent de ne plus obéir au roi comme chef suprême de l’Église anglicane, de ne reconnaître jamais son frère pour roi, de n’obéir qu’au Seigneur, et d’immoler au Seigneur tous les prélats qui s’opposeraient aux saints.

  1. Envers le comte de Strafford en 1641 ; voyez la fin du chapitre clxxix.