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DE SIXTE-QUINT.

se trouvèrent trop longues, et que, malgré la défense sous peine de mort de parler pendant cette opération, un homme du peuple s’écria : Mouillez les cordes. Ces contes, qui rendent l’histoire ridicule, sont le fruit de l’ignorance ; les cabestans dont on se servait ne pouvaient avoir besoin de ce ridicule secours.

L’ouvrage qui donna quelque supériorité à Rome moderne sur l’ancienne fut la coupole de Saint-Pierre de Rome. Il ne restait dans le monde que trois monuments antiques de ce genre, une partie du dôme du temple de Minerve dans Athènes, celui du Panthéon à Rome, et celui de la grande mosquée de Constantinople, autrefois Sainte-Sophie, ouvrage de Justinien. Mais ces coupoles, assez élevées dans l’intérieur, étaient trop écrasées au dehors. Le Brunelleschi, qui rétablit l’architecture en Italie au XIVe siècle, remédia à ce défaut par un coup de l’art, en établissant deux coupoles l’une sur l’autre, dans la cathédrale de Florence ; mais ces coupoles tenaient encore un peu du gothique, et n’étaient pas dans les nobles proportions. Michel-Ange Buonarotti, peintre, sculpteur, et architecte, également célèbre dans ces trois genres, donna, dès le temps de Jules II, le dessin des deux dômes de Saint-Pierre ; et Sixte-Quint fit construire en vingt-deux mois cet ouvrage dont rien n’approche.

La bibliothèque, commencée par Nicolas V, fut tellement augmentée alors que Sixte-Quint peut passer pour en être le vrai fondateur. Le vaisseau qui la contient est encore un beau monument. Il n’y avait point alors dans l’Europe de bibliothèque ni si ample, ni si curieuse ; mais la ville de Paris l’a emporté depuis sur Rome en ce point, et si l’architecture de la Bibliothèque royale de Paris n’est pas comparable à celle du Vatican, les livres y sont en beaucoup plus grand nombre, bien mieux arrangés, et prêtés aux particuliers avec une tout autre facilité.

Le malheur de Sixte-Quint et de ses États fut que toutes ces grandes fondations appauvrirent son peuple, au lieu que Henri IV soulagea le sien. L’un et l’autre, à leur mort, laissèrent à peu près la même somme en argent comptant : car quoique Henri IV eût quarante millions en réserve dont il pouvait disposer, il n’y en avait qu’environ vingt dans les caves de la Bastille ; et les cinq millions d’écus d’or que Sixte mit dans le château Saint-Ange revenaient à peu près à vingt millions de nos livres d’alors. Cet argent ne pouvait être ravi à la circulation dans un État presque sans commerce et sans manufactures, tel que celui de Rome, sans appauvrir les habitants. Sixte, pour amasser ce trésor, et pour subvenir à ces dépenses, fut obligé de donner encore plus d’éten-