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CHAPITRE CLXXXIV.

due à la vénalité des emplois que n’avaient fait ses prédécesseurs. Sixte IV, Jules II, Léon X, avaient commencé ; Sixte aggrava beaucoup ce fardeau : il créa des rentes à huit, à neuf, à dix pour cent, pour le payement desquelles les impôts furent augmentés. Le peuple oublia qu’il embellissait Rome ; il sentit seulement qu’il l’appauvrissait, et ce pontife fut plus haï qu’admiré.

Il faut toujours regarder les papes sous deux aspects : comme souverains d’un État, et comme chefs de l’Église. Sixte-Quint, en qualité de premier pontife, voulut renouveler les temps de Grégoire VII. Il déclara Henri IV, alors roi de Navarre, incapable de succéder à la couronne de France. Il priva la reine Élisabeth de ses royaumes par une bulle, et si la flotte invincible de Philippe II eût abordé en Angleterre, la bulle eût pu être mise à exécution. La manière dont il se conduisit avec Henri III, après l’assassinat du duc de Guise et du cardinal son frère, ne fut pas si emportée. Il se contenta de le déclarer excommunié s’il ne faisait pénitence de ces deux meurtres. C’était imiter saint Ambroise ; c’était agir comme Alexandre III, qui exigea une pénitence publique du meurtre de Becket, canonisé sous le nom de Thomas de Cantorbéry. Il était avéré que le roi de France Henri III venait d’assassiner dans sa propre maison deux princes, dangereux à la vérité, mais auxquels on n’avait point fait le procès, et qu’il eût été très-difficile de convaincre de crime en justice réglée. Ils étaient les chefs d’une ligue funeste, mais que le roi lui-même avait signée. Toutes les circonstances de ce double assassinat étaient horribles, et, sans entrer ici dans les justifications prises de la politique et du malheur des temps, la sûreté du genre humain semblait demander un frein à de pareilles violences. Sixte-Quint perdit le fruit de sa démarche austère et inflexible, en ne soutenant que les droits de la tiare et du sacré collége, et non ceux de l’humanité ; en ne blâmant pas le meurtre du duc de Guise autant que celui du cardinal ; en n’insistant que sur la prétendue immunité de l’Église, sur le droit que les papes réclamaient de juger les cardinaux ; en commandant au roi de France de relâcher le cardinal de Bourbon et l’archevêque de Lyon, qu’il retenait en prison par les raisons d’État les plus fortes ; enfin en lui ordonnant de venir dans l’espace de soixante jours expier son crime dans Rome. Il est très-vrai que Sixte-Quint, chef des chrétiens, pouvait dire à un prince chrétien : » Purgez-vous devant Dieu d’un double homicide » ; mais il ne pouvait pas lui dire : « C’est à moi seul de juger vos sujets ecclésiastiques ; c’est à moi de vous juger dans ma cour. »