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CHAPITRE CLXXXVII.

Amsterdam, malgré les incommodités de son port, devint le magasin du monde. Toute la Hollande s’enrichit et s’embellit par des travaux immenses. Les eaux de la mer furent contenues par de doubles digues. Des canaux creusés dans toutes les villes furent revêtus de pierres ; les rues devinrent de larges quais ornés de grands arbres. Les barques chargées de marchandises abordèrent aux portes des particuliers, et les étrangers ne se lassent point d’admirer ce mélange singulier, formé par les faîtes des maisons, les cimes des arbres, et les banderoles des vaisseaux, qui donnent à la fois, dans un même lieu, le spectacle de la mer, de la ville, et de la campagne.

Mais le mal est tellement mêlé avec le bien, les hommes s’éloignent si souvent de leurs principes, que cette république fut près de détruire elle-même la liberté pour laquelle elle avait combattu, et que l’intolérance fit couler le sang chez un peuple dont le bonheur et les lois étaient fondés sur la tolérance. Deux docteurs calvinistes firent ce que tant de docteurs avaient fait ailleurs. (1609 et suiv.) Gomar et Armin[1] disputèrent dans Leyde avec fureur sur ce qu’ils n’entendaient pas, et ils divisèrent les Provinces-Unies. La querelle fut semblable, en plusieurs points, à celles des thomistes et des scotistes, des jansénistes et des molinistes, sur la prédestination, sur la grâce, sur la liberté, sur des questions obscures et frivoles, dans lesquelles on ne sait pas même définir les choses dont on dispute. Le loisir dont on jouit pendant la trêve donna la malheureuse facilité à un peuple ignorant de s’entêter de ces querelles ; et enfin, d’une controverse scolastique il se forma deux partis dans l’État. Le prince d’Orange Maurice était à la tête des gomaristes ; le pensionnaire Barnevelt favorisait les arminiens[2]. Du Maurier dit avoir appris de l’ambassadeur son père que, Maurice ayant fait proposer au pensionnaire Barnevelt de concourir à donner au prince un pouvoir souverain, ce zélé républicain n’en fit voir aux états que le danger et l’injustice, et que dès lors la ruine de Barnevelt fut résolue. Ce qui est avéré, c’est que le stathouder prétendait accroître son autorité par les gomaristes, et Barnevelt la restreindre par les arminiens ; c’est que plusieurs villes levèrent des soldats qu’on appelait Attendants, parce qu’ils attendaient les

  1. Ou mieux Gomarus et Arminius. Ils étaient tous deux professeurs.
  2. Les arminiens s’appelèrent aussi remontrants, à cause d’une remontrance présentée par eux aux états généraux, et les gomaristes furent dits contre-remontrants, parce qu’ils s’étaient opposés à la remontrance. (G. A.)