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DE LA HOLLANDE AU XVIIe SIÈCLE.

qu’en 1636. On vit avec étonnement, par les registres de cette compagnie, qu’elle avait, dans ce court espace de temps, équipé huit cents vaisseaux, tant pour la guerre que pour le commerce, et qu’elle en avait enlevé cinq cent quarante-cinq aux Espagnols. Cette compagnie l’emportait alors sur celle des Indes orientales ; mais enfin lorsque le Portugal eut secoué le joug des rois d’Espagne, il défendit mieux qu’eux ses possessions, et regagna le Brésil, où il a trouvé des trésors nouveaux.

La plus fructueuse des expéditions hollandaises fut celle de l’amiral Pierre Hein, qui enleva tous les galions d’Espagne revenant de la Havane[1], et rapporta, dans ce seul voyage, vingt millions de nos livres à sa patrie. Les trésors du nouveau monde, conquis par les Espagnols, servaient à fortifier contre eux leurs anciens sujets, devenus leurs ennemis redoutables. La république, pendant quatre-vingts ans, si vous en exceptez une trêve de douze années, soutint cette guerre dans les Pays-Bas, dans les Grandes-Indes et dans le nouveau monde ; et elle fut assez puissante pour conclure une paix avantageuse à Munster, en 1647, indépendamment de la France, son alliée et longtemps sa protectrice, sans laquelle elle avait promis de ne pas traiter[2].

Bientôt après, en 1652, et dans les années suivantes, elle ne craint point de rompre avec son alliée l’Angleterre ; elle a autant de vaisseaux qu’elle ; son amiral Tromp ne cède au fameux amiral Blake qu’en mourant dans une bataille. Elle secourt ensuite le roi de Danemark, assiégé dans Copenhague par le roi de Suède Charles X. Sa flotte, commandée par l’amiral Obdam, bat la flotte suédoise, et délivre Copenhague. Toujours rivale du commerce des Anglais, elle leur fait la guerre sous Charles II comme sous Cromwell, et avec de bien plus grands succès. Elle devient l’arbitre des couronnes en 1668. Louis XIV est obligé par elle de faire la paix avec l’Espagne. Cette même république, auparavant si attachée à la France, est depuis ce temps-là jusqu’à la fin du XVIIe siècle l’appui de l’Espagne contre la France même. Elle est longtemps une des parties principales dans les affaires de l’Europe. Elle se relève de ses chutes, et enfin, quoique affaiblie, elle subsiste par le seul commerce, qui a servi à sa fondation sans avoir fait en Europe aucune conquête que celle de Mastricht et d’un très-petit et mauvais pays, qui ne sert qu’à défendre ses frontières ; on ne

  1. En 1628. On appela ce succès la prise de la flotte d’argent.
  2. Les Hollandais signèrent la paix après avoir attendu un an les résolutions de Mazarin, qui n’avait dessein que de poursuivre la guerre. (G. A.)