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CHAPITRE CLXXXVII.

jeune Hollandais était bien plus cruelle ; c’était le comble de l’injustice de le faire mourir parce qu’il n’avait pas été le délateur de son frère. Si ces temps d’atrocité eussent continué, les Hollandais libres eussent été plus malheureux que leurs ancêtres esclaves du duc d’Albe. Ces persécutions gomariennes ressemblaient à ces premières persécutions que les protestants avaient si souvent reprochées aux catholiques, et que toutes les sectes avaient exercées les unes envers les autres.

Amsterdam, quoique remplie de gomaristes, favorisa toujours les arminiens, et embrassa le parti de la tolérance. L’ambition et la cruauté du prince Maurice laissèrent une profonde plaie dans le cœur des Hollandais, et le souvenir de la mort de Barnevelt ne contribua pas peu dans la suite à faire exclure du stathoudérat le jeune prince d’Orange Guillaume III, qui fut depuis roi d’Angleterre. Il était encore au berceau lorsque le pensionnaire de Witt stipula, dans le traité de paix des États-Généraux avec Cromwell, en 1653, qu’il n’y aurait plus de stathouder en Hollande[1]. Cromwell poursuivait encore, dans cet enfant, le roi Charles Ier, son grand-père, et le pensionnaire de Witt vengeait le sang d’un pensionnaire. Cette manœuvre de Witt fut enfin la cause funeste de sa mort et de celle de son frère ; mais voilà à peu près toutes les catastrophes sanglantes causées en Hollande par le combat de la liberté et de l’ambition.

La compagnie des Indes, indépendante de ces factions, n’en bâtit pas moins Batavia, dès l’année 1618, malgré les rois du pays, et malgré les Anglais, qui vinrent attaquer ce nouvel établissement. La Hollande, marécageuse et stérile en plus d’un canton, se faisait, sous le cinquième degré de latitude septentrionale, un royaume dans la contrée la plus fertile de la terre, où les campagnes sont couvertes de riz, de poivre, de cannelle, et où la vigne porte deux fois l’année. Elle s’empara depuis de Bantam dans la même île, et en chassa les Anglais. Cette seule compagnie eut huit grands gouvernements dans les Indes, en y comptant le cap de Bonne-Espérance, quoique à la pointe de l’Afrique, poste important qu’elle enleva aux Portugais en 1653.

Dans le même temps que les Hollandais s’établissaient ainsi aux extrémités de l’Orient, ils commencèrent à étendre leurs conquêtes du côté de l’Occident en Amérique, après l’expiration de la trêve de douze années avec l’Espagne. La compagnie d’Occident se rendit maîtresse de presque tout le Brésil, depuis 1623 jus-

  1. Chapitre clxxxi.