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DE L’EMPIRE OTTOMAN AU XVIIe SIÈCLE.

et les dominicains se sont toujours vantés d’avoir le fils d’un sultan dans leur ordre.

La Porte ne pouvant se venger sur Malte, qui de son rocher inaccessible brave la puissance turque, fit tomber sa colère sur les Vénitiens ; elle leur reprochait d’avoir, malgré les traités de paix, reçu dans leur port la prise faite par les galères de Malte. La flotte turque aborda en Candie : (1645) on prit la Canée, et en peu de temps presque toute l’île.

Ibrahim n’eut aucune part à cet événement. On a fait quelquefois les plus grandes choses sous les princes les plus faibles. Les janissaires furent absolument les maîtres, du temps d’Ibrahim : s’ils firent des conquêtes, ce ne fut pas pour lui, mais pour eux et pour l’empire. Enfin il fut déposé sur une décision du muphti, et sur un arrêt du divan. (1648) L’empire turc fut alors une véritable démocratie : car après avoir enfermé le sultan dans l’appartement de ses femmes, on ne proclama point d’empereur ; l’administration continua au nom du sultan qui ne régnait plus.

(1649) Nos historiens prétendent qu’Ibrahim fut enfin étranglé par quatre muets, dans la fausse supposition que les muets sont employés à l’exécution des ordres sanguinaires qui se donnent dans le sérail ; mais ils n’ont jamais été que sur le pied des bouffons et des nains ; on ne les emploie à rien de sérieux. Il ne faut regarder que comme un roman la relation de la mort de ce prince étranglé par quatre muets ; les annales turques ne disent point comment il mourut : ce fut un secret du sérail. Toutes les faussetés qu’on nous a débitées sur le gouvernement des Turcs, dont nous sommes si voisins, doivent bien redoubler notre défiance sur l’histoire ancienne. Comment peut-on espérer de nous faire connaître les Scythes, les Gomérites et les Celtes, quand on nous instruit si mal de ce qui se passe autour de nous ? Tout nous confirme que nous devons nous en tenir aux événements publics dans l’histoire des nations, et qu’on perd son temps à vouloir approfondir les détails secrets, quand ils ne nous ont pas été transmis par des témoins oculaires et accrédités.

Par une fatalité singulière, ce temps funeste à Ibrahim l’était à tous les rois. Le trône de l’empire d’Allemagne était ébranlé par la fameuse guerre de trente ans. La guerre civile désolait la France, et forçait la mère de Louis XIV à fuir de sa capitale avec ses enfants. Charles Ier, à Londres, était condamné à mort par ses sujets. Philippe IV, roi d’Espagne, après avoir perdu presque toutes ses possessions en Asie, avait perdu encore le Portugal. Le