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DU MINISTÈRE DU CARDINAL DE RICHIELIEU.

cesseur capable de le remplacer. L’humeur, qui domine souvent les hommes, même dans les plus grandes affaires, produisit en grande partie ces divisions si funestes. La reine mère, quoiqu’elle eût toujours sa place au conseil, quoiqu’elle eût été régente des provinces en deçà de la Loire pendant l’expédition de son fils à la Rochelle, était toujours aigrie contre le cardinal de Richelieu, qui affectait de ne plus dépendre d’elle. Les Mémoires composés pour la défense de cette princesse rapportent que le cardinal étant venu la voir, et Sa Majesté lui demandant des nouvelles de sa santé, il lui répondit, enflammé de colère et les lèvres tremblantes (1629) : « Je me porte mieux que ceux qui sont ici ne voudraient. » La reine fut indignée ; le cardinal s’emporta : il demanda pardon ; la reine s’adoucit, et deux jours après ils s’aigrirent encore : la politique, qui surmonte les passions dans le cabinet, n’en étant pas toujours maîtresse dans la conversation.

(21 novembre 1629) Marie de Médicis ôte alors au cardinal la place de surintendant de sa maison. Le premier fruit de cette querelle fut la patente de premier ministre que le roi écrivit de sa main en faveur du cardinal, lui adressant la parole, exaltant sa valeur et sa magnanimité, et laissant en blanc les appointements de la place pour les faire remplir par le cardinal même. Il était déjà grand-amiral de France, sous le nom de surintendant de la navigation ; et ayant ôté aux calvinistes leurs places de sûreté, il s’assurait pour lui-même de Saumur, d’Angers, de Honfleur, du Havre-de-Grâce, d’Oléron, de l’ile de Ré, qui devenaient ses places de sûreté contre ses ennemis : il avait des gardes ; son faste effaçait la dignité du trône ; tout l’extérieur royal l’accompagnait, et toute l’autorité résidait en lui.

Les affaires de l’Europe le rendaient plus que jamais nécessaire à son maître et à l’État. L’empereur Ferdinand II, depuis la bataille de Prague, s’était rendu despotique en Allemagne, et devenait alors puissant en Italie. Ses troupes assiégeaient Mantoue. La Savoie hésitait entre la France et la maison d’Autriche. Le marquis de Spinola occupait le Montferrat avec une armée espagnole. Le cardinal veut lui-même combattre Spinola ; il se fait nommer généralissime de l’armée qui marche en Italie, et le roi ordonne dans ses provisions qu’on lui obéisse comme à sa propre personne. Ce premier ministre faisant les fonctions de connétable, ayant sous lui deux maréchaux de France, marche en Savoie. Il négocie dans la route, mais en roi, et veut que le duc de Savoie vienne le trouver à Lyon (1630) ; il ne peut l’obtenir. L’armée française s’empare de Pignerol et de Chambéry en deux jours. Le