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DU MINISTÈRE DU CARDINAL DE RICHELIEU.

tement épousé Monsieur. Ce mariage était une nouvelle source de disputes et de querelles dans l’État et dans l’Église. Ces disputes même pouvaient un jour entraîner une grande révolution. Il s’agissait de la succession à la couronne ; et depuis la question de la loi salique, on n’en avait point débattu de plus importante.

Le roi voulait que le mariage de son frère avec Marguerite de Lorraine fût déclaré nul. Gaston n’avait qu’une fille de son premier mariage avec l’héritière de Montpensier. Si l’héritier présomptif du royaume persistait dans son nouveau mariage, s’il en naissait un prince, le roi prétendait que ce prince fût déclaré bâtard et incapable d’hériter.

C’était évidemment insulter les usages de la religion ; mais la religion n’ayant pu être instituée que pour le bien des États, il est certain que quand ces usages sont nuisibles ou dangereux, il faut les abolir.

Le mariage de Monsieur avait été célébré en présence de témoins, autorisé par le père et par toute la famille de son épouse, consommé, reconnu juridiquement par les parties, confirmé solennellement par l’archevêque de Malines. Toute la cour de Rome, toutes les universités étrangères, regardaient ce mariage comme valide et indissoluble ; la faculté même de Louvain déclara depuis qu’il n’était pas au pouvoir du pape de le casser, et que c’était un sacrement ineffaçable.

Le bien de l’État exigeait qu’il ne fût point permis aux princes du sang de disposer d’eux sans la volonté du roi ; ce même bien de l’État pouvait, dans la suite, exiger qu’on reconnût pour roi légitime de France le fruit de ce mariage déclaré illégitime ; mais ce danger était éloigné, l’intérêt présent parlait, et il importait qu’il fût décidé, malgré l’Église, qu’un sacrement tel que le mariage doit être annulé quand il n’a pas été précédé de l’aveu de celui qui tient lieu du père de famille.

(Septembre 1634) Un édit du conseil fit ce que Rome et les conciles n’eussent pas fait, et le roi vint avec le cardinal faire vérifier cet édit au parlement de Paris. Le cardinal parla dans ce lit de justice en qualité de premier ministre et de pair de France. Vous saurez quelle était l’éloquence de ces temps-là, par deux ou trois traits de la harangue du cardinal ; il dit « que convertir une âme c’était plus que créer le monde ; que le roi n’osait toucher à la reine sa mère non plus qu’à l’arche ; et qu’il n’arrive jamais plus de deux ou trois rechutes aux grandes maladies, si les parties nobles ne sont gâtées ». Presque toute la harangue est dans ce style, et encore était-elle une des moins mauvaises qu’on pro-