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CHAPITRE CLXXVI.

Sous un autre ministère, une reine, un héritier présomptif de la France, retirés chez les ennemis de l’État, tous les ordres du royaume mécontents, cent familles qui avaient du sang à venger, eussent pu déchirer le royaume dans les nouvelles circonstances où se trouvait l’Europe. Gustave-Adolphe, le fléau de la maison d’Autriche, fut tué alors (16 novembre 1632), au milieu de sa victoire de Lutzen, auprès de Leipsick ; et l’empereur, délivré de cet ennemi, pouvait avec l’Espagne accabler la France. Mais, ce qui n’était presque jamais arrivé, les Suédois se soutinrent dans un pays étranger après la mort de leur chef. L’Allemagne fut aussi troublée, aussi sanglante qu’auparavant, et l’Espagne devint tous les jours plus faible. Toute cabale devait donc être écrasée sous le pouvoir du cardinal. Cependant il n’y eut pas un jour sans intrigues et sans factions. Lui-même y donnait lieu par des faiblesses secrètes qui se mêlent toujours sourdement aux grandes affaires, et qui, malgré tous les déguisements qui les cachent, décèlent les petitesses de la grandeur.

On prétend que la duchesse de Chevreuse, toujours intrigante et belle encore, engageait le cardinal ministre, par ses artifices, dans la passion qu’elle voulait lui inspirer, et qu’elle le sacrifiait au garde des sceaux Châteauneuf. Le commandeur de Jars et d’autres entraient dans la confidence. La reine Anne, femme de Louis XIII, n’avait d’autre consolation, dans la perte de son crédit, que d’aider la duchesse de Chevreuse à rabaisser par le ridicule celui qu’elle ne pouvait perdre. La duchesse feignait du goût pour le cardinal, et formait des intrigues, dans l’attente de sa mort, que de fréquentes maladies faisaient voir aussi prochaine qu’on la souhaitait. Un terme injurieux dont on se servait, dans cette cabale, pour désigner le cardinal fut ce qui l’offensa davantage[1].

Le garde des sceaux fut mis en prison sans forme de procès, parce qu’il n’y avait point de procès à lui faire. Le commandeur de Jars et d’autres, qu’on accusa de conserver quelques intelligences avec le frère et la mère du roi, furent condamnés par des commissaires à perdre la tête. Le commandeur eut sa grâce sur l’échafaud, mais les autres furent exécutés.

(1633) On ne poursuivait pas seulement les sujets qu’on pouvait accuser d’être dans les intérêts de Gaston ; le duc de Lorraine, Charles IV, en fut la victime. Louis XIII s’empara de Nancy, et promit de lui rendre sa capitale quand ce prince lui mettrait entre les mains sa sœur Marguerite de Lorraine, qui avait secrè-

  1. La reine Anne et la duchesse l’appelaient cul pourri. (Note de Voltaire.)