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ANNALES DE L’EMPIRE.

On voit ici un singulier exemple de l’esprit du temps. Il était à craindre que Henri le Lion, pendant l’absence de l’empereur, ne tentât de rentrer dans les grands États dont il était dépouillé. On lui fit jurer qu’il ne ferait aucune tentative pendant la guerre sainte. Il jura, et on se fia à son serment[1].

1189. Frédéric Barberousse, avec son fils Frédéric, duc de Souabe, passe par l’Autriche et par la Hongrie avec plus de cent mille croisés. S’il eût pu conduire à Rome cette armée de volontaires, il était empereur en effet. Les premiers ennemis qu’il trouve sont les chrétiens grecs de l’empire de Constantinople. Les empereurs grecs et les croisés avaient eu à se plaindre en tout temps les uns des autres.

L’empereur de Constantinople était Isaac l’Ange. Il refuse de donner le titre d’empereur à Frédéric, qu’il ne regarde que comme un roi d’Allemagne ; il lui fait dire que s’il veut obtenir le passage, il faut qu’il donne des otages. On voit dans les Constitutions de Goldast[2] les lettres de ces empereurs. Isaac l’Ange n’y donne d’autre titre à Frédéric que celui d’avocat de l’Église romaine, Frédéric répond à l’Ange qu’il est un chien. Et après cela on s’étonne des épithètes que se donnent les héros d’Homère dans des temps encore plus héroïques.

1190. Frédéric s’étant frayé le passage à main armée bat le sultan d’Iconium ; il prend sa ville ; il passe le mont Taurus, et meurt[3] de maladie après sa victoire, laissant une réputation célèbre d’inégalité et de grandeur, et une mémoire chère à l’Allemagne plus qu’à l’Italie.

On dit qu’il fut enterré à Tyr. On ignore où est la cendre d’un empereur qui fit tant de bruit pendant sa vie. Il faut que ses succès dans l’Asie aient été beaucoup moins solides qu’éclatants ; car il ne restait à son fils Frédéric de Souabe qu’une armée d’environ sept à huit mille combattants, de cent mille qu’elle était en arrivant. Le fils mourut bientôt de maladie comme le père, et il ne demeura en Asie que Léopold, duc d’Autriche, avec quelques chevaliers. C’est ainsi que se terminait chaque croisade.

  1. Voyez ci-après, année 1190.
  2. Voyez page 304.
  3. Le 10 juin. Son fils mourut sept mois après lui, en janvier 1101. (B.)