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HENRI VI.

poursuit rien sur la Saxe, rien sur la Bavière ; il se jette encore sur le Holstein, et perd tout ce qui lui restait d’ailleurs.

1193. En ce temps le grand Saladin chassait tous les chrétiens de la Syrie. Richard Cœur de Lion, roi d’Angleterre, après des exploits admirables et inutiles, s’en retourne comme les autres. Il était mal avec l’empereur ; il était plus mal avec Léopold, duc d’Autriche, pour une vaine querelle sur un prétendu point d’honneur qu’il avait eue avec Léopold dans les malheureuses guerres d’Orient. Il passe par les terres du duc d’Autriche. Ce prince le fait mettre aux fers contre les serments de tous les croisés, contre les égards dus à un roi, contre les lois de l’honneur et des nations.

Le duc d’Autriche livre son prisonnier à l’empereur. La reine Éléonore, femme de Richard Cœur de Lion, ne pouvant venger son mari, offre sa rançon. On prétend que cette rançon fut de cent cinquante mille marcs d’argent. Cela ferait environ deux millions d’écus d’Allemagne ; et, attendu la rareté de l’argent et le prix des denrées, cette somme équivaudrait à quarante millions d’écus de ce temps-ci. Les historiens, peut-être, ont pris cent cinquante mille marques, marcas, pour cent cinquante mille marcs, demi-livres ; ces méprises sont trop ordinaires. Quelle que fût la rançon, l’empereur Henri VI, qui n’avait sur Richard que le droit des brigands, la reçut avec autant de lâcheté qu’il retenait Richard avec injustice. On dit encore qu’il le força à lui faire hommage du royaume d’Angleterre ; hommage très-vain. Richard eût été bien loin de mériter son surnom de Cœur de Lion s’il eût consenti à cette bassesse.

Un évêque de Prague[1] est fait duc ou roi de Bohême ; il achète son investiture de Henri VI à prix d’argent.

Henri le Lion, âgé de soixante et dix ans, marie son fils, qui porte le titre de comte de Brunsvick, avec Agnès, fille de Conrad, comte palatin, oncle de l’empereur. Agnès aimait le comte de Brunsvick : ce mariage, auquel l’empereur consent, le réconcilie avec le vieux duc, qui meurt bientôt après, en laissant du moins le Brunsvick à ses descendants.

1194. Il est à croire que l’empereur Henri VI ne rançonnait le roi Richard et l’évêque de Bohême que pour avoir de quoi conquérir Naples et Sicile. Tancrède, son compétiteur, meurt. Les peuples mettent à sa place son fils Guillaume, quoique enfant ; marque évidente que c’était moins Tancrède que la nation qui disputait le trône de Naples à l’empereur.

  1. Henri Brétislas, mort en 1196. (Cl.)