Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome13.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
28
CHAPITRE CLXXVI.

jeune d’Effiat Cinq-Mars, afin d’avoir sa propre créature auprès du monarque. Ce jeune homme, devenu bientôt grand-écuyer, prétendit entrer dans le conseil ; et le cardinal, qui ne le voulut pas souffrir, eut aussitôt en lui un ennemi irréconciliable. Ce qui enhardit le plus Cinq-Mars à conspirer, ce fut le roi lui-même. Souvent mécontent de son ministre, offensé de son faste, de sa hauteur, de son mérite même, il confiait ses chagrins à son favori, qu’il appelait cher ami, et parlait de Richelieu avec tant d’aigreur qu’il enhardit Cinq-Mars à lui proposer plus d’une fois de l’assassiner ; et c’est ce qui est prouvé par une lettre de Louis XIII lui-même au chancelier Séguier. Mais ce même roi fut ensuite si mécontent de son favori qu’il le bannit souvent de sa présence ; de sorte que bientôt Cinq-Mars haït également Louis XIII et Richelieu. Il avait eu déjà des intelligences avec le comte de Soissons : il les continuait avec le duc de Bouillon, et enfin Monsieur, qui, après ses entreprises malheureuses, se tenait tranquille dans son apanage de Blois, ennuyé de cette oisiveté, et pressé par ses confidents, entra dans le complot. Il ne s’en faisait point qui n’eût pour base la mort du cardinal ; et ce projet, tant de fois tenté, ne fut exécuté jamais.

(1642) Louis XIII et Richelieu, tous deux attaqués déjà d’une maladie plus dangereuse que les conspirations, et qui les conduisit bientôt au tombeau, marchaient en Roussillon pour achever d’ôter cette province à la maison d’Autriche. Le duc de Bouillon, à qui l’on n’aurait pas dû donner une armée à commander lorsqu’il sortait d’une bataille contre les troupes du roi, en commandait pourtant une en Piémont contre les Espagnols : et c’est dans ce temps-là même qu’il conspirait avec Monsieur et avec Cinq-Mars. Les conjurés faisaient un traité avec le comte-duc Olivarès pour introduire une armée espagnole en France, et pour y mettre tout en confusion dans une régence qu’on croyait prochaine, et dont chacun espérait profiter. Cinq-Mars alors, ayant suivi le roi à Narbonne, était mieux que jamais dans ses bonnes grâces ; et Richelieu, malade à Tarascon, avait perdu toute sa faveur, et ne conservait que l’avantage d’être nécessaire.

(1642) Le bonheur du cardinal voulut encore que le complot fût découvert, et qu’une copie du traité lui tombât entre les mains. Il en coûta la vie à Cinq-Mars. C’était une anecdote transmise par les courtisans de ce temps-là, que le roi, qui avait si souvent appelé le grand-écuyer cher ami, tira sa montre de sa poche à l’heure destinée pour l’exécution, et dit : « Je crois que cher ami fait à présent une vilaine mine. » Le duc de Bouillon fut