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DU MINISTÈRE DU CARDINAL DE RICHELIEU.

arrêté au milieu de son armée à Casal. Il sauva sa vie, parce qu’on avait plus besoin de sa principauté de Sedan que de son sang. Celui qui avait deux fois trahi l’État conserva sa dignité de prince, et eut en échange de Sedan des terres d’un plus grand revenu. De Thou, à qui on ne reprochait que d’avoir su la conspiration, et qui l’avait désapprouvée, fut condamné à mort pour ne l’avoir pas révélée. En vain il représenta qu’il n’aurait pu prouver sa déposition, et que s’il avait accusé le frère du roi d’un crime d’État dont il n’avait point de preuves, il aurait bien plus mérité la mort. Une justification si évidente ne fut point reçue du cardinal, son ennemi personnel. Les juges le condamnèrent suivant une loi de Louis XI, dont le seul nom suffit pour faire voir que la loi était cruelle[1]. La reine elle-même était dans le secret de la conspiration ; mais, n’étant point accusée, elle échappa aux mortifications qu’elle aurait essuyées. Pour Gaston, duc d’Orléans, il accusa ses complices à son ordinaire, s’humilia, consentit à rester à Blois, sans gardes, sans honneurs ; et sa destinée fut toujours de traîner ses amis à la prison ou à l’échafaud.

Le cardinal déploya dans sa vengeance, autorisée de la justice, toute sa rigueur hautaine. On le vit traîner le grand-écuyer à sa suite, de Tarascon à Lyon, sur le Rhône, dans un bateau attaché au sien, frappé lui-même à mort, et triomphant de celui qui allait mourir par le dernier supplice. De là le cardinal se fit porter à Paris, sur les épaules de ses gardes, dans une chambre ornée, où il pouvait tenir deux hommes à côté de son lit : ses gardes se relayaient, on abattait des pans de muraille pour le faire entrer plus commodément dans les villes : c’est ainsi qu’il alla mourir à Paris (4 décembre 1642), à cinquante-huit ans, et qu’il laissa le roi satisfait de l’avoir perdu et embarrassé d’être le maître.

On dit que ce ministre régna encore après sa mort, parce qu’on remplit quelques places vacantes de ceux qu’il avait nommés ; mais les brevets étaient expédiés avant sa mort, et ce qui prouve sans réplique qu’il avait trop régné et qu’il ne régnait plus, c’est

  1. Le fils de Barnevelt fut condamné en Hollande sur une semblable accusation ; le Florentin Nera l’avait été de même à Florence en 1497 ; cependant le jurisconsulte milanais Gigas s’était élevé contre cette excessive sévérité : Qui tales condemnant, dit-il, non sunt judices, sed carnifices. Huygens de Zuilichem, père du célèbre Huygens, fit sur la mort de M. de Thou ce distique latin :

    O legum subtile nefas ! quibus inter amicos
    Nolle fidem frustra prodere, proditio est.

    Le duc de Bouillon était neveu du stathouder, allié de la France, et qui de plus avait servi le cardinal auprès de Louis XIII. (K.)