Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome13.djvu/43

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
31
DU MINISTÈRE DU CARDINAL DE RICHELIEU.

La nation n’était pas encore ce qu’elle devint depuis ; ni le commerce n’était bien cultivé, ni la police générale établie. L’intérieur du royaume était encore à régler ; nulle belle ville, excepté Paris, qui manquait encore de bien des choses nécessaires, comme on peut le voir ci-après dans le Siècle de Louis XIV[1]. Tout était aussi différent dans la manière de vivre que dans les habillements, de tout ce qu’on voit aujourd’hui. Si les hommes de nos jours voyaient les hommes de ce temps-là, ils ne croiraient pas voir leurs pères. Les petites bottines, le pourpoint, le manteau, le grand collet de point, les moustaches, et une petite barbe en pointe, les rendraient aussi méconnaissables pour nous que leurs passions pour les complots, leur fureur des duels, leurs festins au cabaret, leur ignorance générale malgré leur esprit naturel.

La nation n’était pas aussi riche qu’elle l’est devenue en espèces monnayées et en argent travaillé : aussi le ministère, qui tirait ce qu’il pouvait du peuple, n’avait guère, par année, que la moitié du revenu de Louis XIV. On était encore moins riche en industrie. Les manufactures grossières de draps de Rouen et d’Elbeuf étaient les plus belles qu’on connût en France : point de tapisseries, point de cristaux, point de glaces. L’art de l’horlogerie était faible, et consistait à mettre une corde à la fusée d’une montre : on n’avait point encore appliqué le pendule aux horloges. Le commerce maritime, dans les Échelles du Levant, était dix fois moins considérable qu’aujourd’hui ; celui de l’Amérique se bornait à quelques pelleteries du Canada : nul vaisseau n’allait aux Indes orientales, tandis que la Hollande y avait des royaumes, et l’Angleterre de grands établissements.

Ainsi la France possédait bien moins d’argent que sous Louis XIV. Le gouvernement empruntait à un plus haut prix ; les moindres intérêts qu’il donnait pour la constitution des rentes étaient de sept et demi pour cent à la mort du cardinal de Richelieu. On peut tirer de là une preuve invincible, parmi tant d’autres, que le testament qu’on lui attribue ne peut être de lui. Le faussaire ignorant et absurde qui a pris son nom dit, au chapitre Ier de la seconde partie, que la jouissance fait le remboursement entier de ces rentes en sept années et demie : il a pris le denier sept et demi pour la septième et demie partie de cent ; et il n’a pas vu que le remboursement d’un capital supposé sans intérêt, et sept années et demie, ne donne pas sept et demi par année, mais près de quatorze. Tout ce qu’il dit dans ce chapitre est d’un

  1. Chapitre xxix ; voyez aussi la note de la page 25.