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CHAPITRE CLXXVII.

homme qui n’entend pas mieux les premiers éléments de l’arithmétique que ceux des affaires. J’entre ici dans ce petit détail, seulement pour faire voir combien les noms en imposent aux hommes : tant que cette œuvre de ténèbres a passé pour être du cardinal de Richelieu, on l’a louée comme un chef-d’œuvre ; mais quand on a reconnu la foule des anachronismes, des erreurs sur les pays voisins, des fausses évaluations, et l’ignorance absurde avec laquelle il est dit que la France avait plus de ports sur la Méditerranée que la monarchie espagnole ; quand on a vu enfin que dans un prétendu Testament politique du cardinal de Richelieu, il n’était pas dit un seul mot de la manière dont il fallait se conduire dans la guerre qu’on avait à soutenir : alors on a méprisé ce chef-d’œuvre qu’on avait admiré sans examen.

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CHAPITRE CLXXVII.


Du gouvernement et des mœurs de l’Espagne depuis Philippe II
jusqu’à Charles II.


On voit, depuis la mort de Philippe II, les monarques espagnols affermir leur pouvoir absolu dans leurs États, et perdre insensiblement leur crédit dans l’Europe. Le commencement de la décadence se fit sentir dès les premières années du règne de Philippe III : la faiblesse de son caractère se répandit sur toutes les parties de son gouvernement. Il était difficile d’étendre toujours des soins vigilants sur l’Amérique, sur les vastes possessions en Asie, sur celles d’Afrique, sur l’Italie, et les Pays-Bas ; mais son père avait vaincu ces difficultés, et les trésors du Mexique, du Pérou, du Brésil, des Indes orientales, devaient surmonter tous les obstacles. La négligence fut si grande, l’administration des deniers publics si infidèle, que, dans la guerre qui continuait toujours contre les Provinces-Unies, on n’eut pas de quoi payer les troupes espagnoles ; elles se mutinèrent, elles passèrent, au nombre de trois mille hommes, sous les drapeaux du prince Maurice. (1604) Un simple stathouder, avec un esprit d’ordre, payait mieux ses troupes que le souverain de tant de royaumes, Philippe III aurait pu couvrir les mers de vaisseaux, et les petites