Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome13.djvu/524

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
512
ANNALES DE L’EMPIRE.

l’armée est diminuée par la contagion, retourne à Constantinople, Charles va en Italie : il s’y prépare à aller attaquer Alger, au lieu d’aller enlever la Hongrie aux Turcs ; c’était être plus soigneux de la gloire de l’Espagne que de celle de l’empire. Maître de Tunis et d’Alger, il eût rangé toute la Barbarie sous la domination espagnole, et l’Allemagne se serait défendue contre Soliman comme elle aurait pu. Il débarque sur la côte d’Alger, le 23 octobre, avec autant de monde à peu près qu’il en avait quand il prit Tunis ; mais une tempête furieuse ayant submergé quinze galères et quatre-vingt-six vaisseaux, et ses troupes sur terre étant assaillies par les orages et par les Maures, Charles est obligé de se rembarquer sur les bâtiments qui restaient, et arrive à Carthagène au mois de novembre avec les débris de sa flotte et de ses troupes. Sa réputation en souffrit : on accusa son entreprise de témérité ; mais s’il eût réussi comme à Tunis, on l’eût appelé le vengeur de l’Europe. Le fameux Fernand Cortès, triomphateur de tant d’États en Amérique, avait assisté en soldat volontaire à l’entreprise d’Alger ; il y vit quelle est la différence d’un petit nombre d’hommes qui sait se défendre et des multitudes qui se laissent égorger.

On ne voit pas pourquoi Soliman demeure oisif après ses conquêtes ; mais on voit pourquoi l’Allemagne les lui laisse : c’est que les princes catholiques s’unissent contre les princes protestants ; c’est que la ligue de Smalcalde fait la guerre au duc de Brunsvick[1], catholique, qu’elle le chasse de son pays, et rançonne tous les ecclésiastiques ; c’est enfin que le roi de France, fatigué des refus de l’investiture du Milanais, préparait contre l’empereur les plus fortes ligues et les plus grands armements.

L’empire et la vie de Charles-Quint ne sont qu’un continuel orage. Le sultan, le pape, Venise, la moitié de l’Allemagne, la France, lui sont presque toujours opposés, et souvent à la fois ; l’Angleterre tantôt le seconde, tantôt le traverse. Jamais empereur ne fut plus craint, et n’eut plus à craindre.

François Ier envoyait un ambassadeur à Constantinople, et un autre à Venise en même temps. Celui qui allait vers Soliman était un Navarrois nommé Rinçone ; l’autre était Frégose, Génois. Tous deux, embarqués sur le Pô, sont assassinés par ordre du gouverneur de Milan, Ce meurtre ressemble parfaitement à celui du colonel Saint-Clair[2], assassiné de nos jours en revenant de

  1. Henri de Brunsvick. Voyez ci-après, année 1545.
  2. Le major Malcolme Sinclair, négociateur suédois, avait été le principal instrument du traité d’alliance du 22 décembre 1739, entre la Suède et la Turquie