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CHAPITRE CLXXVIII.

On aime à attribuer toutes les grandes choses à un seul homme quand il en a fait quelques-unes. C’est un préjugé fort commun en France, que le cardinal de Richelieu attira les armes de Gustave-Adolphe en Allemagne, et prépara seul cette révolution ; mais il est évident qu’il ne fit autre chose que profiter des conjonctures. Ferdinand II avait en effet déclaré la guerre à Gustave ; il voulait lui enlever la Livonie, dont ce jeune conquérant s’était emparé ; il soutenait contre lui Sigismond, son compétiteur au royaume de Suède ; il lui refusait le titre de roi. L’intérêt, la vengeance, et la fierté, appelaient Gustave en Allemagne ; et quand même, lorsqu’il fut en Poméranie, le ministère de France ne l’eût pas assisté de quelque argent, il n’en aurait pas moins tenté la fortune des armes dans une guerre déjà commencée.

(1631) Il était vainqueur en Poméranie quand la France fit son traité avec lui. Trois cent mille francs une fois payés, et neuf cent mille par an qu’on lui donna, n’étaient ni un objet important, ni un grand effort de politique, ni un secours suffisant. Gustave-Adolphe fit tout par lui-même. Arrivé en Allemagne avec moins de quinze mille hommes, il en eut bientôt près de quarante mille, en recrutant dans le pays qui les nourrissait, en faisant servir l’Allemagne même à ses conquêtes en Allemagne. Il force l’électeur de Brandebourg à lui assurer la forteresse de Spandau et tous les passages ; il force l’électeur de Saxe à lui donner ses propres troupes à commander.

L’armée impériale, commandée par Tilly, est entièrement défaite aux portes de Leipsick (17 septembre 1631). Tout se soumet à lui des bords de l’Elbe à ceux du Rhin, Il rétablit tout d’un coup le duc de Meckelbourg dans ses États, à un bout de l’Allemagne ; et il est déjà à l’autre bout, dans le Palatinat, après avoir pris Mayence.

L’empereur, immobile dans Vienne, tombé en moins d’une campagne de ce haut degré de grandeur qui avait paru si redoutable, est réduit à demander au pape Urbain VIII de l’argent et des troupes : on lui refusa l’un et l’autre. Il veut engager la cour de Rome à publier une croisade contre Gustave ; le saint-père promet un jubilé au lieu de croisade, Gustave traverse en victorieux toute l’Allemagne ; il amène dans Munich l’électeur palatin, qui eut du moins la consolation d’entrer dans le palais de celui qui l’avait dépossédé. Cet électeur allait être rétabli dans son palatinat, et même dans le royaume de Bohême, par les mains du conquérant, lorsqu’à la seconde bataille auprès de Leipsick, dans les plaines de Lutzen, Gustave fut tué au milieu