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ANNALES DE L’EMPIRE.

chés, et l’acquisition de l’Alsace, excepté de Strasbourg ; mais au lieu de recevoir de l’argent comme la Suède, elle en donna : les archiducs de la branche du Tyrol eurent trois millions de livres pour la cession de leurs droits sur l’Alsace et sur le Sundgau. La France paya la guerre et la paix, mais elle n’acheta pas cher une si belle province ; elle eut encore l’ancien Brisach et ses dépendances, et le droit de mettre garnison dans Philipsbourg. Ces deux avantages ont été perdus depuis ; mais l’Alsace est demeurée, et Strasbourg, en se donnant à la France, a achevé d’incorporer l’Alsace à ce royaume.

Il y a peu de publicistes qui ne condamnent l’énoncé de cette cession de l’Alsace dans ce fameux traité de Munster ; ils en trouvent les expressions équivoques : en effet, céder toute sorte de juridiction et de souveraineté, et céder la préfecture de dix villes libres impériales, sont deux choses différentes. Il y a grande apparence que les plénipotentiaires virent cette difficulté, et ne voulurent pas l’approfondir, sachant bien qu’il y a des choses qu’il faut laisser derrière un voile que le temps et la puissance font tomber.

La maison palatine fut enfin rétablie dans tous ses droits, excepté dans le haut Palatinat, qui demeura à la branche de Bavière. On créa un huitième électorat en faveur du palatin[1]. On entra avec tant d’attention dans tous les droits et dans tous les griefs qu’on alla jusqu’à stipuler vingt mille écus que l’empereur devait donner à la mère du comte palatin Charles-Louis, et dix mille à chacune de ses sœurs. Le moindre gentilhomme fut bien reçu à demander la restitution de quelques arpents de terre ; tout fut discuté et réglé : il y eut cent quarante restitutions ordonnées. On remit à un arbitrage la restitution de la Lorraine et l’affaire de Juliers. L’Allemagne eut la paix après trente ans de guerre, mais la France ne l’eut pas.

Les troubles de Paris, vers l’an 1647, enhardirent l’Espagne à s’en prévaloir ; elle ne voulut plus entrer dans les négociations générales. Les États-Généraux, qui devaient, ainsi que l’Espagne, traiter à Munster, firent une paix particulière avec l’Espagne, malgré toutes les obligations qu’ils avaient à la France, malgré les traités qui les liaient, et malgré les intérêts qui semblaient les attacher encore à leurs anciens protecteurs. Le ministère espagnol se servit d’une ruse singulière pour engager les États à ce manque de foi : il leur persuada qu’il était prêt de donner l’infante à Louis XIV, avec les Pays-Bas en dot. Les États tremblèrent, et se

  1. C’était Charles-Louis, fils de Frédéric V, qui avait été dépossédé en 1623.