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ANNALES DE L’EMPIRE.

ne contribuent aux besoins de l’empire que dans les cas urgents ; leur taxe est réglée par la matricule générale. Si elles avaient le droit de juger en dernier ressort, qu’on appelle de non appellando, elles seraient des États absolument souverains ; cependant avec tant de droits elles ont très-peu de puissance, parce qu’elles sont entourées de princes qui en ont beaucoup. Les inconvénients attachés à un gouvernement si mixte et si compliqué, dans une si grande étendue de pays, ont subsisté ; mais l’État aussi. La multiplicité des souverainetés sert à tenir la balance, jusqu’à ce qu’il se forme dans le sein de l’Allemagne une puissance assez grande pour engloutir les autres[1].

Ce vaste pays, après la paix de Vestphalie, répara insensiblement ses portes : les campagnes furent cultivées, les villes rebâties ; ce furent là les plus grands événements des années suivantes dans un corps percé et déchiré de toutes parts, qui se rétablissait des blessures que lui-même s’était faites pendant trente années.

Quand on dit que l’Allemagne fut libre alors, il faut l’entendre des princes et des villes impériales ; car pour les villes médiates, elles sont sujettes des grands vassaux auxquels elles appartiennent, et les habitants des campagnes forment un état mitoyen entre l’esclave et le sujet, mais plus approchant de l’esclave, surtout en Souabe et en Bohême.

La Hongrie était comme l’Allemagne, respirant à peine après ses guerres intestines et les invasions si fréquentes des Turcs, ayant besoin d’être défendue, repeuplée, policée, mais toujours jalouse de son droit d’élire son souverain, et de conserver sous lui ses priviléges. Quand Ferdinand III fit élire, en 1654, son fils Léopold, âgé de dix-sept ans[2], roi de Hongrie, on fit signer à sa sérénité (car le mot de majesté n’était pas donné par les Hongrois à qui n’était pas empereur ou roi des Romains), on lui fit signer, dis-je, une capitulation aussi restreignante que celle des empereurs ; mais les seigneurs hongrois n’étaient pas aussi puissants que les princes d’Allemagne. Ils n’avaient point les Français et les Suédois pour garants de leurs priviléges ; ils étaient plutôt opprimés que soutenus par les Ottomans : c’est pourquoi la Hongrie a été enfin entièrement soumise de nos jours, après de nouvelles guerres intestines[3].

  1. Voltaire semble prévoir ici la puissance de la Prusse. (G. A.)
  2. Léopold-Ignace, né le juin 1640, avait quinze ans seulement quand il fut élu roi de Hongrie le 22 juin 1655 ; ce qui s’accorde avec l’âge de dix-huit ans que Voltaire donne plus bas à ce prince, en juillet 1658. (Cl.)
  3. Voyez les chapitres v et vi du Précis du Siècle de Louis XV.