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DE L’ANGLETERRE JUSQU’À L’ANNÉE 1641.

point le deuil de la meurtrière de sa mère. Dès qu’il lut reconnu roi, il crut l’être de droit divin ; il se faisait traiter, par cette raison, de sacrée majesté. Ce fut là le premier fondement du mécontentement de la nation, et des malheurs inouïs de son fils et de sa postérité.

Dans le temps paisible des premières années de son règne, il se forma la plus horrible conspiration qui soit jamais entrée dans l’esprit humain ; tous les autres complots qu’ont produits la vengeance, la politique, la barbarie des guerres civiles, le fanatisme même, n’approchent pas de l’atrocité de la conjuration des poudres. Les catholiques romains d’Angleterre s’étaient attendus à des condescendances que le roi n’eut point pour eux ; quelques-uns, possédés plus que les autres de cette fureur de parti, et de cette mélancolie sombre qui détermine aux grands crimes, résolurent de faire régner leur religion en Angleterre, en exterminant d’un seul coup le roi, la famille royale, et tous les pairs du royaume. (Février 1605) Un Piercy, de la maison de Northumberland, un Catesby, et plusieurs autres, conçurent l’idée de mettre trente-six tonneaux de poudre sous la chambre où le roi devait haranguer son parlement. Jamais crime ne fut d’une exécution plus facile, et jamais succès ne parut plus assuré. Personne ne pouvait soupçonner une entreprise si inouïe ; aucun empêchement n’y pouvait mettre obstacle. Les trente-six barils de poudre, achetés en Hollande, en divers temps, étaient déjà placés sous les solives de la chambre, dans une cave de charbon louée depuis plusieurs mois par Piercy. On n’attendait que le jour de l’assemblée : il n’y aurait eu à craindre que le remords de quelque conjuré ; mais les jésuites Garnet et Oldcorn, auxquels ils s’étaient confessés, avaient écarté les remords. Piercy, qui allait sans pitié faire périr la noblesse et le roi, eut pitié d’un de ses amis, nommé Monteagle, pair du royaume ; et ce seul mouvement d’humanité fit avorter l’entreprise. Il écrivit par une main étrangère à ce pair : « Si vous aimez votre vie, n’assistez point à l’ouverture du parlement ; Dieu et les hommes concourent à punir la perversité du temps : le danger sera passé en aussi peu de temps que vous en mettrez à brûler cette lettre. »

Piercy, dans sa sécurité, ne croyait pas possible qu’on devinât que le parlement entier devait périr par un amas de poudre. Cependant la lettre ayant été lue dans le conseil du roi, et personne n’ayant pu conjecturer la nature du complot, dont il n’y avait pas le moindre indice, le roi, réfléchissant sur le peu de temps que le danger devait durer, imagina précisément quel était