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CHAPITRE CLXXXII.

attendaient fermement le second avénement de Jésus-Christ, et la cinquième monarchie[1].

Il n’y avait plus que neuf évêques en Angleterre, le roi en compléta bientôt le nombre. L’ordre ancien fut rétabli : on vit les plaisirs et la magnificence d’une cour succéder à la triste férocité qui avait régné si longtemps. Charles II introduisit la galanterie et ses fêtes dans le palais de Whitehall, souillé du sang de son père. Les indépendants ne parurent plus ; les puritains furent contenus. L’esprit de la nation parut d’abord si changé que la guerre civile précédente fut tournée en ridicule. Ces sectes sombres et sévères, qui avaient mis tant d’enthousiasme dans les esprits, furent l’objet de la raillerie des courtisans et de toute la jeunesse.

Le théisme, dont le roi faisait une profession assez ouverte, fut la religion dominante au milieu de tant de religions. Ce théisme a fait depuis des progrès prodigieux dans le reste du monde. Le comte de Shaftesbury, le petit-fils du ministre, l’un des plus grands soutiens de cette religion, dit formellement, dans ses Caractéristiques, qu’on ne saurait trop respecter ce grand nom de théiste. Une foule d’illustres écrivains en ont fait profession ouverte. La plupart des sociniens se sont enfin rangés à ce parti. On reproche à cette secte si étendue de n’écouter que la raison, et d’avoir secoué le joug de la foi : il n’est pas possible à un chrétien d’excuser leur indocilité ; mais la fidélité de ce grand tableau que nous traçons de la vie humaine ne permet pas qu’en condamnant leur erreur on ne rende justice à leur conduite. Il faut avouer que, de toutes les sectes, c’est la seule qui n’ait point troublé la société par des disputes ; la seule qui, en se trompant, ait toujours été sans fanatisme : il est impossible même qu’elle ne soit pas paisible. Ceux qui la professent sont unis avec tous les hommes dans le principe commun à tous les siècles et à tous les pays, dans l’adoration d’un seul Dieu ; ils diffèrent des autres hommes en ce qu’ils n’ont ni dogmes ni temples, ne croyant qu’un Dieu juste, tolérant tout le reste, et découvrant rarement

  1. Charles II eût montré une meilleure politique en ne permettant aucune recherche contre ces misérables, et en ne leur laissant pas l’honneur de mourir avec un courage qui diminuait l’horreur de leur crime. Il eût été plus noble de vaincre Cromwell, que de faire traîner son cadavre sur la claie. On a prétendu que Charles II avait même payé des assassins pour faire périr quelques-uns des meurtriers qui s’étaient retirés dans les pays étrangers. Cette conduite augmenta la haine du parti qui avait détrôné son père, parti dont les restes troublèrent son règne, et contribuèrent à l’expulsion de sa famille. ( K.)