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ÉCRIVAINS FRANÇAIS

Vous percer et rire à vos yeux
Est une douceur qui m’enchante.

7° Il est très-faux que les cinq premiers couplets, reconnus pour être de Rousseau, ne fissent qu’effleurer le ridicule de cinq ou six particuliers, comme le dit le Mémoire ; on y voit les mêmes horreurs que dans les autres.

Que le bourreau, par son valet,
Fasse un jour serrer le sifflet
De Bérin et de sa séquelle ;
Que Pécourt[1], qui fait le ballet,
Ait le fouet au pied de l’échelle.

C’est là le style des cinq premiers couplets avoués par Rousseau. Certainement ce n’est pas là de la fine plaisanterie. C’est le même style que celui de tous les couplets qui suivirent.

8° Quant aux derniers couplets sur le même air, qui furent, en 1710, la matière du procès intenté à Saurin, de l’Académie des sciences, le Mémoire ne dit rien que ce que les pièces du procès ont appris depuis longtemps. Il prétend seulement que le malheureux[2] qui fut condamné au bannissement, pour avoir été suborné par Rousseau, devait être condamné aux galères, si en effet il avait été faux témoin. C’est en quoi le sieur Boindin se trompe ; car, en premier lieu, il eût été d’une injustice ridicule de condamner aux galères le suborné, quand on ne décernait que la peine du bannissement au suborneur ; en second lieu, ce malheureux ne s’était pas porté accusateur contre Saurin. Il n’avait pu être entièrement suborné. Il avait fait plusieurs déclarations contradictoires ; la nature de sa faute et la faiblesse de son esprit ne comportaient pas une peine exemplaire.

9° N. Boindin fait entendre expressément dans son Mémoire que la maison de Noailles et les jésuites servirent à perdre Rousseau dans cette affaire, et que Saurin fit agir le crédit et la faveur. Je sais avec certitude, et plusieurs personnes vivantes encore le savent comme moi, que ni la maison de Noailles ni les jésuites ne sollicitèrent. La faveur fut d’abord tout entière pour Rousseau : car, quoique le cri public s’élevât contre lui, il avait gagné deux secrétaires d’État, M. de Pontchartrain et M. Voisin, que ce cri

  1. Pécour, danseur et maître de ballets à l’Opéra, mort en 1729.
  2. Guillaume Arnoult ; voyez la Vie de M. J.-B. Rousseau, dans les Mélanges, à la date de 1738.