Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/181

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Chaque membre de l’empire a ses droits, ses privilèges, ses obligations ; et la connaissance difficile de tant de lois, souvent contestées, fait ce que l’on appelle en Allemagne l’étude du droit public, pour laquelle la nation germanique est si renommée.

L’empereur, par lui-même, ne serait guère à la vérité plus puissant ni plus riche qu’un doge de Venise. Vous savez que l’Allemagne, partagée en villes et en principautés, ne laisse au chef de tant d’États que la prééminence avec d’extrêmes honneurs, sans domaines, sans argent, et par conséquent sans pouvoir.

Il ne possède pas, à titre d’empereur, un seul village. Cependant cette dignité, souvent aussi vaine que suprême, était devenue si puissante entre les mains des Autrichiens qu’on a craint souvent qu’ils ne convertissent en monarchie absolue cette république de princes.

Deux partis divisaient alors, et partagent encore aujourd’hui l’Europe chrétienne, et surtout l’Allemagne.

Le premier est celui des catholiques, plus ou moins soumis au pape ; le second est celui des ennemis de la domination spirituelle et temporelle du pape et des prélats catholiques. Nous appelons ceux de ce parti du nom général de protestants, quoiqu’ils soient divisés en luthériens, calvinistes, et autres, qui se haïssent entre eux presque autant qu’ils haïssent Rome.

En Allemagne, la Saxe, une partie du Brandebourg, le Palatinat, une partie de la Bohême, de la Hongrie, les États de la maison de Brunsvick, le Virtemberg, la Hesse, suivent la religion luthérienne, qu’on nomme évangélique. Toutes les villes libres impériales ont embrassé cette secte, qui a semblé plus convenable que la religion catholique à des peuples jaloux de leur liberté.

Les calvinistes, répandus parmi les luthériens, qui sont les plus forts, ne font qu’un parti médiocre ; les catholiques composent le reste de l’empire, et, ayant à leur tête la maison d’Autriche, ils étaient sans doute les plus puissants.

Non-seulement l’Allemagne, mais tous les États chrétiens, saignaient encore des plaies qu’ils avaient reçues de tant de guerres de religion, fureur particulière aux chrétiens, ignorée des idolâtres, et suite malheureuse de l’esprit dogmatique introduit depuis si longtemps dans toutes les conditions. Il y a peu de points de controverse qui n’aient causé une guerre civile, et les nations étrangères (peut-être notre postérité) ne pourront un jour comprendre que nos pères se soient égorgés mutuellement, pendant tant d’années, en prêchant la patience.