Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/195

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commission du conseil. On s’indigne que le ministre et les juges aient eu la faiblesse de croire aux diables de Loudun, ou la barbarie d’avoir fait périr un innocent dans les flammes. On se souviendra avec étonnement jusqu’à la dernière postérité que la maréchale d’Ancre fut brûlée en place de Grève comme sorcière[1].

On voit encore, dans une copie de quelques registres du Châtelet, un procès commencé en 1610, au sujet d’un cheval qu’un maître industrieux avait dressé à peu près de la manière dont nous avons vu des exemples à la Foire ; on voulait faire brûler et le maître et le cheval[2].

En voilà assez pour faire connaître en général les mœurs et l’esprit du siècle qui précéda celui de Louis XIV.

Ce défaut de lumière dans tous les ordres de l’État fomentait chez les plus honnêtes gens des pratiques superstitieuses qui déshonoraient la religion. Les calvinistes, confondant avec le culte raisonnable des catholiques les abus qu’on faisait de ce culte, n’en étaient que plus affermis dans leur haine contre notre Église. Ils opposaient à nos superstitions populaires, souvent remplies de débauches, une dureté farouche et des mœurs féroces, caractère de presque tous les réformateurs : ainsi l’esprit de parti déchirait et avilissait la France, et l’esprit de société, qui rend aujourd’hui cette nation si célèbre et si aimable, était absolument inconnu. Point de maisons où les gens de mérite s’assemblassent pour se communiquer leurs lumières ; point d’académies, point de théâtres réguliers. Enfin les mœurs, les lois, les arts, la société, la religion, la paix, et la guerre, n’avaient rien de ce qu’on vit depuis dans le siècle appelé le siècle de Louis XIV.

  1. « Et que le conseiller Courtin, interrogeant cette femme infortunée, lui demanda de quel sortilège elle s’était servie pour gouverner l’esprit de Marie de Médicis, que la maréchale lui répondit : « Je me suis servie du pouvoir qu’ont les âmes fortes sur les esprits faibles » ; et qu’enfin cette réponse ne servit qu’à précipiter l’arrêt de sa mort.

     » On voit encore », etc. Variante de l’Essai sur le Siècle de Louis XIV, dont il est parlé dans l’Avertissement de Beuchot.

  2. « Accusés tous deux de sortilèges. Dans cette disette d’arts, de police, de raison, de tout ce qui fait fleurir un empire, il s’élevait de temps en temps des hommes de talent, et le gouvernement se signalait par des efforts qui rendaient la France redoutable. Mais ces hommes rares et ces efforts passagers, sous Charles VIII, sous François Ier, à la fin du règne de Henri le Grand, servaient à faire remarquer davantage la faiblesse générale.

    « Ce défaut de lumières », etc. Variante de l’Essai sur le Siècle de Louis XIV. (B.)