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pas dans l’église de Notre-Dame, le jour que Louis XIII mit son royaume sous la protection de la Vierge Marie[1].

Presque toutes les communautés du royaume étaient armées ; presque tous les particuliers respiraient la fureur du duel. Cette barbarie gothique, autorisée autrefois par les rois mêmes, et devenue le caractère de la nation, contribuait encore, autant que les guerres civiles et étrangères, à dépeupler le pays. Ce n’est pas trop dire que, dans le cours de vingt années dont dix avaient été troublées par la guerre, il était mort plus de gentilshommes français de la main des Français mêmes que de celle des ennemis.

On ne dira rien ici de la manière dont les arts et les sciences étaient cultivés ; on trouvera cette partie de l’histoire de nos mœurs à sa place. On remarquera seulement que la nation française était plongée dans l’ignorance, sans excepter ceux qui croient n’être point peuple.

On consultait les astrologues, et on y croyait. Tous les Mémoires de ce temps-là, à commencer par l’Histoire du président de Thou, sont remplis de prédictions. Le grave et sévère duc de Sully rapporte sérieusement celles qui furent faites à Henri IV. Cette crédulité, la marque la plus infaillible de l’ignorance, était si accréditée qu’on eut soin de tenir un astrologue[2] caché près de la chambre de la reine Anne d’Autriche au moment de la naissance de Louis XIV.

Ce que l’on croira à peine, et ce qui est pourtant rapporté par l’abbé Vittorio Siri, auteur contemporain très-instruit, c’est que Louis XIII eut dès son enfance le surnom de Juste, parce qu’il était né sous le signe de la balance.

La même faiblesse, qui mettait en vogue cette chimère absurde de l’astrologie judiciaire, faisait croire aux possessions et aux sortilèges : on en faisait un peint de religion ; l’on ne voyait que des prêtres qui conjuraient des démons. Les tribunaux, composés de magistrats qui devaient être plus éclairés que le vulgaire, étaient occupés à juger des sorciers. On reprochera toujours à la mémoire du cardinal de Richelieu la mort de ce fameux curé de Loudun, Urbain Grandier[3], condamné au feu comme magicien par une

  1. Les lettres patentes sont du 10 février 1638 ; ce fut le 15 août, jour de la procession, qu’eut lieu la bataille entre le parlement et la cour des comptes. Voyez l’Histoire du Parlement, chap. liii : « Combats à coups de poing du parlement avec la chambre des comptes dans l’église de Notre-Dame. »
  2. Il s’appelait Morin ; voyez le chapitre xxvi.
  3. Voyez le paragraphe ix du Prix de la justice et de l’humanité.