Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/211

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Le duc de Beaufort-Vendôme, petit-fils de Henri IV, l’idole du peuple, et instrument dont on se servit pour le soulever, prince populaire, mais d’un esprit borné, était publiquement l’objet des railleries de la cour et de la Fronde même. On ne parlait jamais de lui que sous le nom de roi des halles. Une balle lui ayant fait une contusion au bras, il disait que ce n’était qu’une confusion.

La duchesse de Nemours rapporte, dans ses Mémoires, que le prince de Condé présenta à la reine un petit nain bossu, armé de pied en cap : « Voilà, dit-il, le généralissime de l’armée parisienne. Il voulait par là désigner son frère, le prince de Conti, qui était en effet bossu, et que les Parisiens avaient choisi pour leur général. Cependant ce même Condé fut ensuite général des mêmes troupes ; et Mme  de Nemours ajoute qu’il disait que toute cette guerre ne méritait d’être écrite qu’en vers burlesques. Il l’appelait aussi la guerre des pots de chambre.

Les troupes parisiennes, qui sortaient de Paris et revenaient toujours battues, étaient reçues avec des huées et des éclats de rire. On ne réparait tous ces petits échecs que par des couplets et des épigrammes. Les cabarets et les autres maisons de débauche étaient les tentes où l’on tenait les conseils de guerre, au milieu des plaisanteries, des chansons, et de la gaieté la plus dissolue. La licence était si effrénée qu’une nuit les principaux officiers de la Fronde, ayant rencontré le saint-sacrement qu’on portait dans les rues à un homme, qu’on soupçonnait d’être Mazarin, reconduisirent les prêtres à coups de plat d’épée.

Enfin on vit le coadjuteur, archevêque de Paris, venir prendre séance au parlement avec un poignard dans sa poche, dont on apercevait la poignée, et on criait : Voilà le bréviaire de notre archevêque.

Il vint un héraut d’armes à la porte Saint-Antoine, accompagné d’un gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, pour signifier des propositions (1649). Le parlement ne voulut point le recevoir ; mais il admit dans la grand’chambre un envoyé de l’archiduc Léopold, qui faisait alors la guerre à la France[1].

Au milieu de tous ces troubles, la noblesse s’assembla en corps aux Augustins, nomma des syndics, tint publiquement des séances réglées. On eût cru que c’était pour réformer la France, et pour assembler les états généraux ; c’était pour un tabouret que la reine avait accordé à Mme  de Pons ; peut-être n’y a-t-il jamais eu une preuve plus sensible de la légèreté d’esprit qu’on reprochait aux Français.

  1. Voyez Histoire du Parlement, chapitre lvi.