Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/212

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les discordes civiles qui désolaient l’Angleterre, précisément en même temps, servent bien à faire voir les caractères des deux nations. Les Anglais avaient mis dans leurs troubles civils un acharnement mélancolique, et une fureur raisonnée : ils donnaient de sanglantes batailles ; le fer décidait tout ; les échafauds étaient dressés pour les vaincus ; leur roi, pris en combattant, fut amené devant une cour de justice, interrogé sur l’abus qu’on lui reprochait d’avoir fait de son pouvoir, condamné à perdre la tête, et exécuté devant tout son peuple (9 février 1649)[1] avec autant d’ordre, et avec le même appareil de justice que si on avait condamné un citoyen criminel, sans que, dans le cours de ces troubles horribles, Londres se fût ressentie un moment des calamités attachées aux guerres civiles.

Les Français, au contraire, se précipitaient dans les séditions par caprice, et en riant : les femmes étaient à la tête des factions ; l’amour faisait et rompait les cabales. La duchesse de Longueville engagea Turenne, à peine maréchal de France, à faire révolter l’armée qu’il commandait pour le roi.

C’était la même armée que le célèbre duc de Saxe-Veimar avait rassemblée. Elle était commandée, après la mort du duc de Veimar, par le comte d’Erlach, d’une ancienne maison du canton de Berne. Ce fut ce comte d’Erlach qui donna cette armée à la France, et qui lui valut la possession de l’Alsace. Le vicomte de Turenne voulut le séduire ; l’Alsace eût été perdue pour Louis XIV, mais il fut inébranlable ; il contint les troupes veimariennes dans la fidélité qu’elles devaient à leur serment. Il fut même chargé par le cardinal Mazarin d’arrêter le vicomte. Ce grand homme, infidèle alors par faiblesse, fut obligé de quitter en fugitif l’armée dont il était général, pour plaire à une femme qui se moquait de sa passion : il devint, de général du roi de France, lieutenant de don Estevan de Gamare, avec lequel il fut battu à Rethel par le maréchal du Plessis-Praslin.

On connaît ce billet du maréchal d’Hocquincourt à la duchesse de Montbazon : Péronne est à la belle des belles. On sait ces vers du duc de La Rochefoucauld, pour la duchesse de Longueville, lorsqu’il reçut, au combat de Saint-Antoine, un coup de mousquet qui lui fit perdre quelque temps la vue :

Pour mériter son cœur, pour plaire à ses beaux yeux,
J’ai fait la guerre aux rois ; je l’aurais faite aux dieux[2].

  1. Sur cette date, voyez, tome XIII, la note 1 de la page 74.
  2. Ces vers sont tirés d’une tragédie de du Ryer ; le duc de La Rochefoucauld