Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/218

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de celui de son maître : mais il ne put résister à cette vanité : c’était précisément ce qu’avait fait le maréchal d’Ancre, et ce qui contribua beaucoup à sa perte. La même témérité réussit au cardinal Mazarin : la reine l’approuva. Le roi, déjà majeur, et son frère, allèrent au-devant de lui.

(Décembre 1651) Aux premières nouvelles de son retour, Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII, qui avait demandé l’éloignement du cardinal, leva des troupes dans Paris sans savoir à quoi elles seraient employées. Le parlement renouvela ses arrêts ; il proscrivit Mazarin et mit sa tête à prix. Il fallut chercher dans les registres quel était le prix d’une tête ennemie du royaume. On trouva que sous Charles IX on avait promis, par arrêt, cinquante mille écus à celui qui représenterait l’amiral Coligny mort ou vif. On crut très-sérieusement procéder en règle en mettant ce même prix à l’assassinat d’un cardinal premier ministre.

Cette prescription ne donna à personne la tentation de mériter les cinquante mille écus, qui après tout n’eussent point été payés. Chez une autre nation, et dans un autre temps, un tel arrêt eût trouvé des exécuteurs : mais il ne servit qu’à faire de nouvelles plaisanteries. Les Blot et les Marigny, beaux esprits, qui portaient la gaieté dans les tumultes de ces troubles, firent afficher dans Paris une répartition des cent cinquante mille livres ; tant pour qui couperait le nez au cardinal, tant pour une oreille, tant pour un œil, tant pour le faire eunuque. Ce ridicule fut tout l’effet de la proscription contre la personne du ministre ; mais ses meubles et sa bibliothèque furent vendus par un second arrêt ; cet argent était destiné à payer un assassin ; il fut dissipé par les dépositaires, comme tout l’argent qu’on levait alors. Le cardinal, de son côté, n’employait contre ses ennemis ni le poison ni l’assassinat ; et, malgré l’aigreur et la manie de tant de partis et de tant de haines, on ne commit pas autant de grands crimes, les chefs de partis furent moins cruels, et les peuples moins furieux que du temps de la Ligue : car ce n’était pas une guerre de religion.

(Décembre 1651) L’esprit de vertige qui régnait en ce temps posséda si bien tout le corps du parlement de Paris qu’après avoir solennellement ordonné un assassinat dont on se moquait, il rendit un arrêt par lequel plusieurs conseillers devaient se transporter sur la frontière pour informer contre l’armée du cardinal Mazarin, c’est-à-dire contre l’armée royale.

Deux conseillers furent assez imprudents pour aller avec quelque paysans faire rompre les ponts par où le cardinal devait passer : l’un d’eux, nommé Bitaut, fut fait prisonnier par les