Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/222

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prendre, restait dans son palais du Luxembourg. Le cardinal de Retz était cantonné dans son archevêché. Le parlement attendait l’issue de la bataille pour donner quelque arrêt. La reine, en larmes, était prosternée dans une chapelle aux Carmélites. Le peuple, qui craignait alors également et les troupes du roi et celles de monsieur le Prince, avait fermé les portes de la ville, et ne laissait plus entrer ni sortir personne, pendant que ce qu’il y avait de plus grand en France s’acharnait au combat, et versait son sang dans le faubourg. Ce fut là que le duc de La Rochefoucauld, si illustre par son courage et par son esprit, reçut un coup au-dessus des yeux, qui lui fit perdre la vue pour quelque temps[1]. Un neveu du cardinal Mazarin y fut tué, et le peuple se crut vengé. On ne voyait que jeunes seigneurs tués ou blessés qu’on rapportait à la porte Saint-Antoine, qui ne s’ouvrait point.

Enfin Mademoiselle, fille de Gaston, prenant le parti de Condé, que son père n’osa secourir, fit ouvrir les portes aux blessés, et eut la hardiesse de faire tirer sur les troupes du roi le canon de la Bastille. L’armée royale se retira : Condé n’acquit que de la gloire ; mais Mademoiselle se perdit pour jamais dans l’esprit du roi, son cousin, par cette action violente ; et le cardinal Mazarin, qui savait l’extrême envie qu’avait Mademoiselle d’épouser une tête couronnée, dit alors : Ce canon-là vient de tuer son mari.

La plupart de nos historiens n’étalent à leurs lecteurs que ces combats et ces prodiges de courage et de politique ; mais qui saurait quels ressorts honteux il fallait faire jouer, dans quelles misères on était obligé de plonger les peuples, et à quelles bassesses on était réduit, verrait la gloire des héros de ce temps-là avec plus de pitié que d’admiration. On en peut juger par les seuls traits que rapporte Gourville, homme attaché à monsieur le Prince. Il avoue que lui-même, pour lui procurer de l’argent, vola celui d’une recette, et qu’il alla prendre dans son logis un directeur des postes, à qui il fit payer une rançon ; et il rapporte ces violences comme des choses ordinaires.

La livre de pain valait alors à Paris vingt-quatre de nos sous. Le peuple souffrait, les aumônes ne suffisaient pas ; plusieurs provinces étaient dans la disette.

Y a-t-il rien de plus funeste que ce qui se passa dans cette guerre devant Bordeaux ? Un gentilhomme est pris par les troupes royales, on lui tranche la tête. Le duc de La Rochefoucauld fait pendre par représailles un gentilhomme du parti du roi ; et ce

  1. Voyez la note de la page 192.