Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/223

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duc de La Rochefoucauld passe pourtant pour un philosophe. Toutes ces horreurs étaient bientôt oubliées pour les grands intérêts des chefs de parti.

Mais en même temps y a-t-il rien de plus ridicule que de voir le grand Condé baiser la châsse de sainte Geneviève dans une procession, y frotter son chapelet, le montrer au peuple, et prouver, par cette facétie, que les héros sacrifient souvent à la canaille ?

Nulle décence, nulle bienséance, ni dans les procédés, ni dans les paroles. Omer Talon rapporte qu’il entendit des conseillers appeler, en opinant, le cardinal premier ministre, faquin[1]. Un conseiller, nommé Quatre-sous, apostropha rudement le grand Condé en plein parlement ; on se donna des gourmandes dans le sanctuaire de la justice.

Il y avait eu des coups donnés à Notre-Dame[2] pour une place que les présidents des enquêtes disputaient au doyen de la grand’chambre en 1644. On laissa entrer dans le parquet des gens du roi, en 1645, des femmes du peuple, qui demandèrent à genoux que le parlement fît révoquer les impôts.

Ce désordre en tout genre continua depuis 1644 jusqu’en 1653, d’abord sans trouble, enfin dans des séditions continuelles d’un bout du royaume à l’autre.

(1652) Le grand Condé s’oublia jusqu’à donner un soufflet au comte de Rieux, fils du prince d’Elbeuf, chez le duc d’Orléans : ce n’était pas le moyen de regagner le cœur des Parisiens. Le comte de Rieux rendit le soufflet au vainqueur de Rocroi, de Fribourg, de Nordlingen, et de Lens. Cette étrange aventure ne produisit rien ; Monsieur fit mettre pour quelques jours le fils du duc d’Elbeuf à la Bastille, et il n’en fut plus parlé[3].

La querelle du duc de Beaufort et du duc de Nemours, son beau-frère, fut sérieuse. Ils s’appelèrent en duel, ayant chacun quatre seconds. Le duc de Nemours fut tué par le duc de Beaufort ; et le marquis de Villars[4], surnommé Orondate, qui secondait

  1. Voyez page 193, et l’Histoire du Parlement, chapitre lvi.
  2. Voyez Histoire du Parlement, chapitre liv.
  3. Des hommes très-instruits des anecdotes de ce temps prétendent que le prince de Condé n’avait insulté Rieux que de paroles ou de gestes : celui-ci donna le premier coup, que les amis du prince lui rendirent avec usure. Les deux avocats généraux du parlement, Omer Talon et Jérôme Bignon, furent consultés : Talon voulait poursuivre le comte de Rieux ; Bignon, plus sage, s’y opposa, et fit revenir son collègue à son avis. (K.)
  4. C’est le père du maréchal de Villars, à qui Louis XIV, dans ses malheurs, a dû la victoire et la paix. (K.)