Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/224

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Nemours, tua son adversaire, Héricourt, qu’il n’avait jamais vu auparavant. De justice, il n’y en avait pas l’ombre. Les duels étaient fréquents, les déprédations continuelles, les débauches poussées jusqu’à l’impudence publique ; mais au milieu de ces désordres il régna toujours une gaieté qui les rendit moins funestes.

Après le sanglant et inutile combat de Saint-Antoine, le roi ne put rentrer dans Paris, et le prince n’y put demeurer longtemps. Une émotion populaire, et le meurtre de plusieurs citoyens dont on le crut l’auteur, le rendirent odieux au peuple. Cependant il avait encore sa brigue au parlement. (20 juillet 1652) Ce corps, peu intimidé alors par une cour errante et chassée en quelque façon de la capitale, pressé par les cabales du duc d’Orléans et du prince, déclara par un arrêt le duc d’Orléans lieutenant général du royaume, quoique le roi fût majeur : c’était le même titre qu’on avait donné au duc de Mayenne du temps de la Ligue. Le prince de Condé fut nommé généralissime des armées. Les deux parlements de Paris et de Pontoise, se contestant l’un à l’autre leur autorité, donnant des arrêts contraires, et qui par là se seraient rendus le mépris du peuple, s’accordaient à demander l’expulsion de Mazarin : tant la haine contre ce ministre semblait alors le devoir essentiel d’un Français.

Il ne se trouva dans ce temps aucun parti qui ne fût faible : celui de la cour l’était autant que les autres ; l’argent et les forces manquaient à tous ; les factions se multipliaient ; les combats n’avaient produit de chaque côté que des pertes et des regrets. La cour se vit obligée de sacrifier encore Mazarin, que tout le monde appelait la cause des troubles, et qui n’en était que le prétexte. Il sortit une seconde fois du royaume (12 août 1652) : pour surcroît de honte, il fallut que le roi donnât une déclaration publique par laquelle il renvoyait son ministre en vantant ses services et en se plaignant de son exil[1].

Charles Ier, roi d’Angleterre, venait de perdre la tête sur un échafaud[2] pour avoir, dans le commencement des troubles, abandonné le sang de Strafford, son ami, à son parlement : Louis XIV, au contraire, devint le maître paisible de son royaume en souffrant l’exil de Mazarin. Ainsi les mêmes faiblesses eurent des succès bien différents. Le roi d’Angleterre, en abandonnant

  1. Ce fut pendant cet exil que le cardinal écrivait au roi : « Il ne me reste pas un asile dans un royaume dont j’ai reculé toutes les frontières. » (K.)
  2. Voyez page 192.