Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/247

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mier ministre, il eût été perdu, parce que la haine contre un particulier eût ranimé vingt factions trop puissantes. Si Louis XIII n’en avait pas eu, ce prince, dont un corps faible et malade énervait l’âme, eût succombé sous le poids. Louis XIV pouvait sans péril avoir ou n’avoir pas de premier ministre. Il ne restait pas la moindre trace des anciennes factions ; il n’y avait plus en France qu’un maître et des sujets. Il montra d’abord qu’il ambitionnait toute sorte de gloire, et qu’il voulait être aussi considéré au dehors qu’absolu au dedans.

Les anciens rois de l’Europe prétendent entre eux une entière égalité, ce qui est très-naturel ; mais les rois de France ont toujours réclamé la préséance que mérite l’antiquité de leur race et de leur royaume ; et s’ils ont cédé aux empereurs, c’est parce que les hommes ne sont presque jamais assez hardis pour renverser un long usage. Le chef de la république d’Allemagne, prince électif et peu puissant par lui-même, a le pas, sans contredit, sur tous les souverains, à cause de ce titre de César et d’héritier de Charlemagne. Sa chancellerie allemande ne traitait pas même alors les autres rois de majesté. Les rois de France pouvaient disputer la préséance aux empereurs, puisque la France avait fondé le véritable empire d’Occident, dont le nom seul subsiste en Allemagne. Ils avaient pour eux non-seulement la supériorité d’une couronne héréditaire sur une dignité élective, mais l’avantage d’être issus, par une suite non interrompue, de souverains qui régnaient sur une grande monarchie plusieurs siècles avant que, dans le monde entier, aucune des maisons qui possèdent aujourd’hui des couronnes fût parvenue à quelque élévation. Ils voulaient au moins précéder les autres puissances de l’Europe. On alléguait en leur faveur le nom de très-chrétien. Des rois d’Espagne opposaient le titre de catholique, et depuis que Charles-Quint avait eu un roi de France prisonnier à Madrid, la fierté espagnole était bien loin de céder ce rang. Les Anglais et les Suédois, qui n’allèguent aujourd’hui aucun de ces surnoms, reconnaissent le moins qu’ils peuvent cette supériorité.

C’était à Rome que ces prétentions étaient autrefois débattues. Les papes, qui donnaient les États avec une bulle, se croyaient, à plus forte raison, en droit de décider du rang entre les couronnes. Cette cour, où tout se passe en cérémonies, était le tribunal où se jugeaient ces vanités de la grandeur. La France y avait eu toujours la supériorité quand elle était plus puissante que l’Espagne ; mais depuis le règne de Charles-Quint, l’Espagne n’avait négligé aucune occasion de se donner l’égalité. La dispute restait indécise ; un