Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/261

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vingt-huit ans avait été élu grand pensionnaire, homme amoureux de la liberté de son pays, autant que de sa grandeur personnelle ; assujetti à la frugalité et à la modestie de sa république, il n’avait qu’un laquais et une servante, et allait à pied dans la Haye, tandis que dans les négociations de l’Europe son nom était compté avec les noms des plus puissants rois : homme infatigable dans le travail, plein d’ordre, de sagesse, d’industrie dans les affaires, excellent citoyen, grand politique, et qui cependant fut depuis très-malheureux[1].

Il avait contracté avec le chevalier Temple, ambassadeur d’Angleterre à la Haye, une amitié bien rare entre des ministres. Temple était un philosophe qui joignait les lettres aux affaires ; homme de bien, malgré les reproches que l’évêque Burnet lui a faits d’athéisme ; né avec le génie d’un sage républicain, aimant la Hollande comme son propre pays, parce qu’elle était libre, et aussi jaloux de cette liberté que le grand pensionnaire lui-même. Ces deux citoyens s’unirent avec le comte de Dhona, ambassadeur de Suède, pour arrêter les progrès du roi de France.

Ce temps était marqué pour les événements rapides. La Flandre, qu’on nomme Flandre française, avait été prise en trois mois ; la Franche-Comté, en trois semaines. Le traité entre la Hollande, l’Angleterre, et la Suède, pour tenir la balance de l’Europe et réprimer l’ambition de Louis XIV, fut proposé et conclu en cinq jours. Le conseil de l’empereur Léopold n’osa entrer dans cette intrigue. Il était lié par le traité secret qu’il avait signé avec le roi de France pour dépouiller le jeune roi d’Espagne. Il encourageait secrètement l’union de l’Angleterre, de la Suède, et de la Hollande ; mais il ne prenait aucunes mesures ouvertes.

Louis XIV fut indigné qu’un petit État tel que la Hollande conçût l’idée de borner ses conquêtes, et d’être l’arbitre des rois, et plus encore qu’elle en fût capable. Cette entreprise des Provinces-Unies lui fut un outrage sensible qu’il fallut dévorer, et dont il médita dès lors la vengeance.

Tout ambitieux, tout puissant, et tout irrité qu’il était, il détourna l’orage qui allait s’élever de tous les côtés de l’Europe. Il proposa lui-même la paix. La France et l’Espagne choisirent

  1. Jean de Witt avait été, en Hollande, un des premiers et un des meilleurs disciples de Descartes. On a de lui un Traité des courbes, ouvrage de sa première jeunesse, rempli de choses ingénieuses et nouvelles, qui annonçaient un véritable géomètre. Il paraît être le premier qui ait imaginé de calculer la probabilité de la vie humaine, et d’employer ce calcul pour déterminer quel denier des rentes viagères répond à un intérêt donné en rentes perpétuelles. (K.)