Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/279

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sous la pinte ; mais ces extrémités parurent moindres que l’esclavage. C’est une chose digne de l’observation de la postérité, que la Hollande, ainsi accablée sur terre et n’étant plus un État, demeurât encore redoutable sur la mer : c’était l’élément véritable de ces peuples.

Tandis que Louis XIV passait le Rhin, et prenait trois provinces, l’amiral Ruyter, avec environ cent vaisseaux de guerre et plus de cinquante brûlots, alla chercher, près des côtes d’Angleterre, les flottes des deux rois. Leurs puissances réunies n’avaient pu mettre en mer une armée navale plus forte que celle de la république. Les Anglais et les Hollandais combattirent comme des nations accoutumées à se disputer l’empire de l’Océan (7 juin 1672). Cette bataille, qu’on nomme de Solbaie, dura un jour entier. Ruyter, qui en donna le signal, attaqua le vaisseau amiral d’Angleterre, où était le duc d’York, frère du roi. La gloire de ce combat particulier demeura à Ruyter. Le duc d’York, obligé de changer de vaisseau, ne reparut plus devant l’amiral hollandais. Les trente vaisseaux français eurent peu de part à l’action ; et tel fut le sort de cette journée que les côtes de la Hollande furent en sûreté.

Après cette bataille, Ruyter, malgré les craintes et les contradictions de ses compatriotes, fit entrer la flotte marchande des Indes dans le Texel ; défendant ainsi, et enrichissant sa patrie d’un côté, lorsqu’elle périssait de l’autre. Le commerce même des Hollandais se soutenait ; on ne voyait que leurs pavillons dans les mers des Indes. Un jour qu’un consul de France disait au roi de Perse que Louis XIV avait conquis presque toute la Hollande : « Comment cela peut-il être, répondit ce monarque persan, puisqu’il y a toujours au port d’Ormus vingt vaisseaux hollandais pour un français ? »

Le prince d’Orange, cependant, avait l’ambition d’être bon citoyen. Il offrit à l’État le revenu de ses charges, et tout son bien pour soutenir la liberté. Il couvrit d’inondations les passages par où les Français pouvaient pénétrer dans le reste du pays. Ses négociations promptes et secrètes réveillèrent de leur assoupissement l’empereur, l’empire, le conseil d’Espagne, le gouverneur de Flandre. Il disposa même l’Angleterre à la paix. Enfin, le roi était entré au mois de mai en Hollande, et dès le mois de juillet l’Europe commençait à être conjurée contre lui.

Monterey, gouverneur de la Flandre, fit passer secrètement quelques régiments au secours des Provinces-Unies. Le conseil de l’empereur Léopold envoya Montecuculli à la tête de près de