Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/281

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encore plus mal de ne pas s’opposer d’abord à ce torrent. Enfin Louis lui-même commit une si grande faute qu’eux tous en ne poursuivant pas avec assez de rapidité des conquêtes si faciles. Condé et Turenne voulaient qu’on démolît la plupart des places hollandaises. Ils disaient que ce n’était point avec des garnisons que l’on prend des États, mais avec des armées ; et qu’en conservant une ou deux places de guerre pour la retraite, on devait marcher rapidement à la conquête entière. Louvois, au contraire, voulait que tout fût place et garnison ; c’était là son génie, c’était aussi le goût du roi. Louvois avait par là plus d’emplois à sa disposition ; il étendait le pouvoir de son ministère ; il s’applaudissait de contredire les deux plus grands capitaines du siècle. Louis le crut, et se trompa, comme il l’avoua depuis ; il manqua le moment d’entrer dans la capitale de la Hollande ; il affaiblit son armée en la divisant dans trop de places ; il laissa à son ennemi le temps de respirer. L’histoire des plus grands princes est souvent le récit des fautes des hommes.

Après le départ du roi, les affaires changèrent de face. Turenne fut obligé de marcher vers la Vestphalie, pour s’opposer aux Impériaux. Le gouverneur de Flandre, Monterey, sans être avoué du conseil timide d’Espagne, renforça la petite armée du prince d’Orange d’environ dix mille hommes. Alors ce prince fit tête aux Français jusqu’à l’hiver. C’était déjà beaucoup de balancer la fortune. Enfin l’hiver vint ; les glaces couvrirent les inondations de la Hollande. Luxembourg, qui commandait dans Utrecht, fit un nouveau genre de guerre inconnu aux Français, et mit la Hollande dans un nouveau danger, aussi terrible que les précédents.

Il assemble, une nuit, près de douze mille fantassins tirés des garnisons voisines. On arme leurs souliers de crampons. Il se met à leur tête, et marche sur la glace vers Leyde et vers la Haye. Un dégel survint : la Haye fut sauvée[1]. Son armée, entourée d’eau, n’ayant plus de chemin ni de vivres, était prête à périr. Il fallait, pour s’en retourner à Utrecht, marcher sur une digue étroite et fangeuse, où l’on pouvait à peine se traîner quatre de front. On ne pouvait arriver à cette digue qu’en attaquant un fort qui semblait imprenable sans artillerie. Quand ce fort n’eût

  1. Cette tentative ne fut pas oubliée. Lorsqu’à la fin de 1792 on discuta dans les comités de la Convention les moyens propres à envahir la Hollande, le ministre de la guerre Pache proposa de faire l’expédition au cœur de l’hiver, sur la glace. Ce projet fut exécuté deux ans après, et réussit parfaitement. (G. A.)