Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/334

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Luxembourg était malade, circonstance funeste dans un moment qui demande une activité nouvelle ; (3 août 1692) le danger lui rendit ses forces : il fallait des prodiges pour n’être pas vaincu, et il en fit. Changer de terrain, donner un champ de bataille à son armée, qui n’en avait point ; rétablir la droite tout en désordre, rallier trois fois ses troupes, charger trois fois à la tête de la maison du roi, fut l’ouvrage de moins de deux heures. Il avait dans son armée Philippe duc d’Orléans, alors duc de Chartres, depuis régent du royaume, petit-fils de France, qui n’avait pas alors quinze ans.[1] Il ne pouvait être utile pour un coup décisif ; mais c’était beaucoup pour animer les soldats qu’un petit-fils de France encore enfant, chargeant avec la maison du roi, blessé dans le combat, et revenant encore à la charge malgré sa blessure.

Un petit-fils et un petit-neveu du grand Condé servaient tous deux de lieutenants généraux : l’un était Louis de Bourbon, nommé Monsieur le Duc ; l’autre, François-Louis prince de Conti, rivaux de courage, d’esprit, d’ambition, de réputation ; Monsieur le Duc, d’un naturel plus austère, ayant peut-être des qualités plus solides, et le prince de Conti de plus brillantes. Appelés tous deux par la voix publique au commandement des armées, ils désiraient passionnément cette gloire ; mais ils n’y parvinrent jamais, parce que Louis, qui connaissait leur ambition comme leur mérite, se souvenait toujours que le prince de Condé lui avait fait la guerre.

Le prince de Conti fut le premier qui rétablit le désordre, ralliant des brigades, en faisant avancer d’autres ; Monsieur le Duc faisant la même manœuvre, sans avoir besoin d’émulation. Le duc de Vendôme, petit-fils de Henri IV, était aussi lieutenant général dans cette armée. Il servait depuis l’âge de douze ans, et quoiqu’il en eût alors quarante, il n’avait pas encore commandé en chef. Son frère le grand-prieur était auprès de lui.

Il fallut que tous ces princes se missent à la tête de la maison du roi, avec le duc de Choiseul, pour chasser un corps d’Anglais qui gardait un poste avantageux, dont le succès de la bataille dépendait. La maison du roi et les Anglais étaient les meilleures troupes qui fussent dans le monde. Le carnage fut grand. Les Français, encouragés par cette foule de princes et de jeunes seigneurs qui combattaient autour du général, l’emportèrent enfin. Le régiment de Champagne défit les gardes anglaises du roi

  1. Né le 2 août 1674, le duc de Chartres avait, le jour de la bataille, dix-huit ans révolus.