Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/356

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’Europe a pensé que ce testament de Charles II avait été dicté à Versailles. Le roi mourant n’avait consulté que l’intérêt de son royaume, les vœux de ses sujets, et même leurs craintes : car le roi de France faisait avancer des troupes sur la frontière pour s’assurer une partie de l’héritage, tandis que le roi moribond se résolvait à lui tout donner. Rien n’est plus vrai que la réputation de Louis XIV et l’idée de sa puissance furent les seuls négociateurs qui consommèrent cette révolution.

Charles d’Autriche, après avoir signé la ruine de sa maison et la grandeur de celle de France, languit encore un mois, et acheva enfin, à l’âge de trente-neuf ans (1er  novembre 1700), la vie obscure qu’il avait menée sur le trône. Peut-être n’est-il pas inutile, pour faire connaître l’esprit humain, de dire que, quelques mois avant sa mort, ce monarque fit ouvrir à l’Escurial les tombeaux de son père, de sa mère, et de sa première femme, Marie-Louise d’Orléans, dont il était soupçonné d’avoir souffert l’empoisonnement[1]. Il baisa ce qui restait de ces cadavres, soit qu’en cela il suivît l’exemple de quelques anciens rois d’Espagne, soit qu’il voulût s’accoutumer aux horreurs de la mort, soit qu’une secrète superstition lui fît croire que l’ouverture de ces tombes retarderait l’heure où il devait être porté dans la sienne.

Ce prince était né aussi faible d’esprit que de corps, et cette faiblesse s’était répandue sur ses États. C’est le sort des monarchies que leur prospérité dépende du caractère d’un seul homme. Telle était la profonde ignorance dans laquelle Charles II avait été élevé que, quand les Français assiégèrent Mons, il crut que cette place appartenait au roi d’Angleterre. Il ne savait ni où était la Flandre, ni ce qui lui appartenait en Flandre[2]. Ce roi laissa au duc d’Anjou, petit-fils de Louis XIV, tous ses États, sans connaître ce qu’il lui laissait.

Son testament fut si secret que le comte de Harrach, ambassadeur de l’empereur, se flattait encore que l’archiduc était reconnu successeur. Il attendit longtemps l’issue du grand conseil, qui se tint immédiatement après la mort du roi. Le duc d’Abrantès vint à lui les bras ouverts : l’ambassadeur ne douta plus dans ce moment que l’archiduc ne fût roi, quand le duc d’Abrantès lui dit en l’embrassant : « Vengo a despedirme de la casa de Austria. Je viens prendre congé de la maison d’Autriche. »

Ainsi, après deux cents ans de guerres et de négociations pour

  1. Voyez le chapitre xxvii, des Anecdotes. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez les Mémoires de Torcy, tome Ier, page 12. (Note de Voltaire.)