Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/357

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quelques frontières des États espagnols, la maison de France eut, d’un trait de plume, la monarchie entière, sans traités, sans intrigues, et sans même avoir eu l’espérance de cette succession. On s’est cru obligé de faire connaître la simple vérité d’un fait jusqu’à présent obscurci par tant de ministres et d’historiens séduits par leurs préjugés et par les apparences qui séduisent presque toujours. Tout ce qu’on a débité dans tant de volumes, d’argent répandu par le maréchal d’Harcourt, et des ministres espagnols gagnés pour faire signer ce testament, est au rang des mensonges politiques et des erreurs populaires. Mais le roi d’Espagne, en choisissant pour son héritier le petit-fils d’un roi si longtemps son ennemi, pensait toujours aux suites que l’idée d’un équilibre général devait entraîner. Le duc d’Anjou, petit-fils de Louis XIV, n’était appelé à la succession d’Espagne que parce qu’il ne devait pas espérer celle de France ; et le même testament qui, au défaut des puînés du sang de Louis XIV, rappelait l’archiduc Charles, depuis l’empereur Charles VI, portait expressément que l’empire et l’Espagne ne seraient jamais réunis sous un même souverain.

Louis XIV pouvait s’en tenir encore au traité de partage, qui était un gain pour la France. Il pouvait accepter le testament, qui était un avantage pour sa maison. Il est certain que la matière fut mise en délibération dans un conseil extraordinaire. Le chancelier de Pontchartrain et le duc de Beauvilliers furent d’avis de s’en tenir au traité ; ils voyaient les dangers d’une nouvelle guerre à soutenir[1]. Louis les voyait aussi ; mais il était accoutumé a ne les pas craindre. Il accepta le testament(11 novembre 1700) ; et rencontrant, au sortir du conseil, les princesses de Conti avec Madame la duchesse : « Eh bien, leur dit-il en souriant, quel parti prendriez-vous ? » Puis sans attendre leur réponse : « Quel-

  1. À ne considérer que la justice, cette question était délicate. Le traité de partage liait Louis XIX ; mais il n’avait aucun droit de priver son petit-fils d’une succession qui était indépendante de son autorité. Il avait encore moins celui de donner à l’Espagne un autre maître que celui qui était appelé au trône par la règle ordinaire des successions, par le testament de Charles II et le consentement des peuples. Le traité fait avec l’Angleterre paraît donc injuste ; et ce n’est pas de l’avoir violé, mais de l’avoir proposé, qu’on peut faire un reproche à Louis XIV. Devait-il regarder comme absolument nul cet engagement injuste, ou devait-il, en laissant la liberté à son petit-fils d’accepter ou de refuser, se croire obligé à ne lui point donner de secours contre les puissances avec lesquelles il avait pris des engagements ? La guerre qu’elles feraient au nouveau roi d’Espagne n’était-elle point évidemment injuste ? Et l’engagement de ne pas défendre son petit-fils, injustement attaqué, aurait-il pu être légitime ? (K.)