Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/367

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pagnies, ni même celui des officiers dans les régiments. La facilité de s’entendre avec les commissaires, et l’inattention du ministre, produisaient ce désordre. De là naissait un inconvénient qui devait, toutes choses égales d’ailleurs, faire perdre nécessairement des batailles. Car, pour avoir un front aussi étendu que celui de l’ennemi, on était obligé d’opposer des bataillons faibles à des bataillons nombreux. Les magasins ne furent plus ni assez grands ni assez tôt prêts. Les armes ne furent plus d’une assez bonne trempe. Ceux donc qui voyaient ces défauts du gouvernement, et qui savaient à quels généraux la France aurait affaire, craignirent pour elle, même au milieu des premiers avantages qui promettaient à la France de plus grandes prospérités que jamais[1].

Le premier général qui balança la supériorité de la France fut un Français : car on doit appeler de ce nom le prince Eugène, quoiqu’il fût petit-fils de Charles-Emmanuel, duc de Savoie. Son père, le comte de Soissons, établi en France, lieutenant général des armées et gouverneur de Champagne, avait épousé Olympe Mancini, l’une des nièces du cardinal Mazarin. (18 octobre 1663) De ce mariage, d’ailleurs malheureux, naquit à Paris ce prince si dangereux depuis à Louis XIV, et si peu connu de lui dans sa jeunesse. On le nomma d’abord en France le chevalier de Carignan. Il prit ensuite le petit collet. On l’appelait l’abbé de Savoie. On prétend qu’il demanda un régiment au roi, et qu’il essuya la mortification d’un refus accompagné de reproches. Ne pouvant réussir auprès de Louis XIV, il était allé servir l’empereur contre les Turcs dès l’an 1683. Les deux princes de Conti allèrent le joindre en 1685. Le roi fit ordonner aux princes de Conti, et à tous ceux qui faisaient avec eux le voyage, de revenir. L’abbé de Savoie fut le seul qui n’obéit point[2]. Il avait déjà déclaré qu’il

  1. Le compilateur des Mémoires de madame de Maintenon dit que, vers la fin de la guerre précédente, le marquis de Nangis, colonel du régiment du roi, lui disait qu’on ne pourrait empêcher la désertion de ses soldats qu’en faisant casser la tête aux déserteurs. Remarquez que le marquis, depuis le maréchal de Nangis, ne fut colonel de ce régiment qu’en 1711. (Note de Voltaire.)
  2. Par les instructions à moi envoyées, et puisées dans le dépôt des affaires étrangères, il est évident que le prince Eugène était déjà parti en 1683, et que le marquis de La Fare s’est mépris dans ses Mémoires quand il fait partir les deux princes de Conti avec le prince Eugène : ce qui a induit les historiens en erreur.

    Il y eut alors plusieurs jeunes seigneurs de la cour qui écrivirent aux princes de Conti des lettres indécentes, dans lesquelles ils manquaient de respect au roi, et d’égards pour Mme  de Maintenon, qui n’était encore que favorite. Les lettres furent interceptées, et ces jeunes gens disgraciés pour quelque temps.

    Le compilateur des Mémoires de Maintenon est le seul qui avance que le duc de La Rocheguion dit à son frère, le marquis de Liancourt : « Mon frère, si on