Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/375

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qui, après avoir suivi à la tête d’une armée les ordres du cabinet, reviennent briguer l’honneur de servir encore. Il gouvernait alors la reine d’Angleterre, et par le besoin qu’on avait de lui, et par l’autorité que sa femme avait sur l’esprit de cette reine[1]. Il menait le parlement par son crédit et par celui de Godolphin, grand trésorier, dont le fils épousa sa fille. Ainsi, maître de la cour, du parlement, de la guerre, et des finances, plus roi que n’avait été Guillaume, aussi politique que lui, et beaucoup plus grand capitaine, il fit plus que les alliés n’osaient espérer. Il avait, par-dessus tous les généraux de son temps, cette tranquillité de courage au milieu du tumulte, et cette sérénité d’âme dans le péril, que les Anglais appellent cold head, tête froide. C’est peut-être cette qualité, le premier don de la nature pour le commandement, qui a donné autrefois tant d’avantages aux Anglais sur les Français dans les plaines de Poitiers, de Crécy, et d’Azincourt[2].

Marlborough, guerrier infatigable pendant la campagne, devenait un négociateur aussi agissant pendant l’hiver. Il allait à la Haye et dans toutes les cours d’Allemagne. Il persuadait les Hollandais de s’épuiser pour abaisser la France. Il excitait les ressentiments de l’électeur palatin. Il allait flatter la fierté de l’électeur de Brandebourg, lorsque ce prince voulut être roi. Il lui présentait la serviette à table, pour en tirer un secours de sept à huit mille soldats. Le prince Eugène, de son côté, ne finissait une campagne que pour aller faire lui-même à Vienne les préparatifs de l’autre. On sait si les armées en sont mieux pourvues quand le général est le ministre. Ces deux hommes, tantôt commandant ensemble, tantôt séparément, furent toujours d’intelligence ; ils conféraient souvent à la Haye avec le grand pensionnaire Heinsius et le greffier Fagel, qui gouvernaient les Provinces-Unies avec autant de lumières que les Barnevelt et les de Witt, et avec plus de bonheur. Ils faisaient toujours de concert mouvoir les ressorts de la moitié de l’Europe contre la maison de Bourbon, et le ministère de France était alors bien faible pour résister longtemps à ces forces réunies. Le secret de leur projet de campagne fut toujours gardé entre eux. Ils arrangeaient eux-mêmes leurs desseins, et ne les confiaient à ceux qui devaient les seconder qu’au point de l’exécution. Chamillart, au contraire, n’étant ni politique, ni guerrier, ni même homme de finance, et jouant cependant le rôle d’un premier ministre, dans l’impuissance où

  1. Voyez chapitre xxii.
  2. Voyez tome XII, pages 25, 19, 41.